Vincent Aurez
Les défis du financement du logement
Lors de son Conseil d’orientation du 10 octobre 2024, le Labo de l’ESS a donné la parole à Vincent Aurez, ancien directeur développement durable et innovation du groupe Novaxia. Retrouvez sa tribune dans le cadre du dossier du Labo de l’ESS de janvier 2025 dédié à la place de l’ESS dans le secteur du logement !
Le prix moyen du foncier au mètre carré a pris 4,5 % chaque année depuis les années 2000, soit une augmentation supérieure à celle de l’inflation. Cela souligne le statut de « placement rentable » pour un certain nombre de personnes ayant acheté leur résidence principale au début de ce siècle, mais cette dynamique contribue également à fragiliser l’accès au logement abordable pour les ménages modestes dès lors qu’elle n’est pas accompagnée par une augmentation aussi significative des revenus.
En 2024, on estime à plus de 2 000 milliards d’euros les encours en assurance vie, dont 40 à 50 milliards seraient orientés vers le secteur immobilier. Ces sommes pourraient répondre aux enjeux du logement en France. Pourtant, dans cette épargne mobilisable, aucun euro n’était, il y a encore trois ans, investi dans des unités de compte directement dédiées à la production de logement.
À cela s’ajoute une pénurie estimée à près d’un million de logements, alors que les surfaces de bureaux vacants ont fortement augmenté. En Île-de-France, par exemple, près de 70 % des bureaux disponibles en stock sont inoccupés, représentant environ 5 millions de mètres carrés. Dans certaines communes franciliennes, ces surfaces sont inoccupées depuis plus de trois ans, alors même que les projets immobiliers continuent de privilégier la construction de bureaux sur les mêmes territoires. La crise du Covid-19 et l’essor du télétravail ont aggravé cette tendance, soulignant l’urgence de rééquilibrer l’affectation des ressources foncières et financières.
Pourtant, des solutions existent. Grâce à la loi Pacte et au label Fair-Finansol, des unités de compte ont été développées pour diriger une partie de l’épargne vers le logement social. Les premiers fonds solidaires labellisés Fair ont permis de produire des dizaines de milliers de logements. Cependant, ces initiatives restent insuffisantes pour répondre à l’ampleur de la pénurie de logements abordables.
Une autre piste consiste à ouvrir davantage ces fonds aux structures bénéficiaires ayant un statut d’Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale (ESUS). Actuellement, 5 % de l’épargne collectée de certains de ces fonds contribuent au financement de logement abordable, mais les foncières solidaires rencontrent des difficultés à absorber ces capitaux en raison de leurs capacités limitées, tant en termes de gouvernance que d’expertise.
Le constat est sans appel : les solutions actuelles ne parviennent pas à répondre à la double crise de l’accès au logement et de la sous-utilisation de l’épargne immobilière pour des projets à fort impact social. Alors que les besoins se multiplient, il est impératif d’adopter une approche systémique, combinant innovation financière et réformes structurelles.
Une des pistes serait de réorienter les investissements vers des projets intégrant des objectifs sociaux et environnementaux ambitieux, notamment par la création de nouveaux instruments financiers, tels que des obligations à impact ou des fonds de production de logements mixtes alliant rendement et solidarité. De même, le développement de partenariats public-privé pourrait permettre d’accélérer la conversion des surfaces inutilisées, telles que les bureaux vides, en logements abordables. Ces projets pourraient s’appuyer sur des mécanismes fiscaux incitatifs pour attirer les investisseurs privés et ainsi maximiser leur impact.
Ce tournant stratégique nécessite une vision claire et un engagement collectif. Répondre à la crise du logement en France implique non seulement de rendre le logement accessible, mais aussi de repenser son financement pour le rendre durable et inclusif, et d’adapter l’expertise et les compétences financières mobilisées au sein des initiatives solidaires.
Vincent Aurez
Ancien directeur développement durable et innovation du groupe Novaxia
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Le Labo de l’ESS remercie chaleureusement Vincent Aurez pour cet article !
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