Tribune
Publié le 24 novembre 2016
Dominique Méda et Florence Jany-Catrice

Dominique Méda, Florence Jany-Catrice

Professeure de sociologie, Professeure d'économie

"Le choix de nouveaux indicateurs suppose la participation des citoyens"

La fin des années 1990 a renoué avec les critiques du Produit intérieur brut en vogue à la fin des Trente Glorieuses, mais balayées par les deux chocs pétroliers et la crise économique. Le PIB, indicateur universel, considéré comme la meilleure mesure de la richesse d’une société occulte pourtant par construction une partie de celle-ci : il compte pour zéro des activités essentielles pour la reproduction de la société (toutes les activités familiales, domestiques, bénévoles, de loisir, de développement personnel…) ; il n’est pas affecté par les inégalités dans la production ou dans la consommation ; il ne prend pas en considération les dégradations apportées au patrimoine naturel ou à la cohésion sociale à l’occasion de la production.

En France, les travaux des chercheurs (Méda, 1999 ; Gadrey, Jany-Catrice, 2005 ; Jany-Catrice, 2008) sont partiellement relayés par les institutions internationales ou les politiques : en 2007, une initiative promue par l’OCDE et la Commission européenne, intitulée « Beyond GDP » voit le jour, sous la forme d’un colloque qui fait place aux interrogations sur de possibles indicateurs alternatifs ou complémentaires au PIB. En 2008, le Président de la République Nicolas Sarkozy met en place une Commission chargée de réfléchir sur la mesure des performances économiques et du progrès social. C’est à ce moment que se met en place le Forum pour d’autres indicateurs de richesse (FAIR) dont l’objectif est de rappeler que le choix de nouveaux indicateurs suppose la participation des citoyens, seuls légitimes à dire « ce qui compte ». C’est pourtant un travail en chambre que proposera finalement la Commission Stiglitz-Sen, qui rappelle que le PIB ne joue pas le rôle d’alerte mais ne propose ni nouvelle vision du monde, ni nouveau set d’indicateurs.

Pendant ce temps, les nouveaux indicateurs fleurissent : les institutions internationales proposent chacune le leur, l’Epargne nette ajustée pour la Banque Mondiale, l’Inclusive wealth index pour les Nations Unies, autant d’indicateurs monétarisés dont le point commun est néanmoins de passer d’une vision en flux (la richesse comme somme des valeurs ajoutées) à une vision en stock (la richesse comme stock dont il s’agit de suivre les évolutions). Les territoires s’emparent également de ces questions : en 2008, Florence Jany-Catrice propose un Indice de santé sociale, inspiré des travaux des Miringoff et des créateurs du Bip 40, prenant en considération les inégalités de revenus, de conditions de travail, ou de logement au sein d’un territoire donné.

En 2013 s’ouvre une nouvelle période : la députée Eva Sas s’empare du sujet et parvient, au terme de nombreux rebondissements, à faire voter en avril 2015, un loi comprenant un unique article disposant que : le Gouvernement remettra annuellement au Parlement un rapport présentant l’évolution, sur les années passées, de nouveaux indicateurs de richesse, tels que des indicateurs d’inégalités, de qualité de vie et de développement durable ». Il s’agit d’une très nette avancée sur le chemin de la production d’autres indicateurs. La loi renvoie à d’autres instances de concertation le soin de proposer d’autres indicateurs : le CESE et France Stratégie réaliseront ce travail au terme d’une démarche de concertation dont les avis seront néanmoins très peu pris en compte. Au terme du circuit administratif, le Gouvernement publiera une liste de dix indicateurs qui ne constitue pas une alternative crédible au PIB.

Parallèlement, en 2014, le Secrétaire d’Etat à l’économie sociale et solidaire fait voter une loi sur l’ESS qui élargit le périmètre des organisations relevant de ce champ protéiforme. Cette loi a pour vertu de faire reconnaître institutionnellement l’ESS ce qui compense en partie la disqualification comptable dont l’ESS fait les frais, tant la manière de compter les richesses qu’elle produit est étriquée. Se développent au niveau des organisations de l’ESS, tantôt des mesures d’utilité sociale, tantôt de plus value sociale, tantôt d’impact social. Mais on retrouve les mêmes apories qu’au niveau international : notamment quand les méthodes pour mesurer ces richesses qualitatives empruntent le langage de la monétarisation et plus généralement lorsqu’elles fournissent des méthodes standardisées et hétéronomes pour évaluer les richesses.

La mesure est pavée de bonnes intentions.

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