L’indicateur de santé sociale (ISS)
L’indicateur de santé sociale (ISS) est un outil de mesure de la richesse non-monétaire : l’enjeu est d’objectiver et d’étudier d’autres données que celle du PIB/tête afin de rendre compte de la santé et du développement d’un territoire. Il permet de mettre en avant que les territoires les plus « riches » ne sont pas les territoires qui ont la meilleure santé sociale.
L’ISS mis en place dans le Nord-Pas de Calais est particulièrement intéressant car il est issu d’une démarche itérative, co-construite, qui lui permet d’assoir sa légitimité au-delà du contexte expert et universitaire. L’ISS offre une vue synthétique de deux problématiques : d’une part, cet indice permet de revoir la comparaison entre régions fondée jusqu’à présent sur un classement de leur richesse monétaire ; d’autre part, il peut servir à avoir une vue évolutive des divers aspects du bien vivre pour chaque région au cours du temps. L’un des enseignements principaux qu’apporte la démarche est qu’il n’existe pas de corrélation entre richesse monétaire (au sens de PIB/tête) et santé sociale : le classement inter-régional est de fait largement bouleversé dès lors que l’on sort de la simple mesure de la richesse monétaire.
Au fondement de l’ISS se trouve le travail engagé en 2006 par le Réseau d’Alerte sur les Inégalités (RAI), qui donne naissance au « Baromètre des inégalités de la pauvreté » (BIP40). Ce baromètre intègre six dimensions : logement, santé, éducation, justice, travail et emploi et revenus, qui se déploient en 60 variables. Dans le cadre du programme « Indicateurs 21 » de la Région Nord-Pas de Calais qui vise à faire mettre au point de nouveaux indicateurs de richesse, le BIP40 est adapté au territoire régional par Florence Jany-Catrice, professeur à l’Université de Lille 1.
Des débats sont organisés en 2007, à l’occasion du rapport du travail mené dans le cadre du BIP40, sur les méthodes utilisées ainsi que sur les interprétations de la forte progression des inégalités et de la pauvreté en région Nord-Pas de Calais dans la décennie précédente. Ce sont ces questionnements qui ont permis à Florence Jany-Catrice et Rabih Zotti de mettre en place la démarche participative de construction du nouvel indicateur. Le travail des chercheurs a consisté à analyser de façon fine les discussions tenues lors de ces débats, afin de refléter au mieux les problématiques soulevées. Ils mettent en évidence que l’enjeu de la compréhension de la santé sociale du territoire est avant tout celui de la construction de l’avenir et de la mesure des évolutions au cours du temps. Aux six dimensions déjà utilisées dans la BIP40, l’ISS en ajoute deux : la dimension du lien social et celle du lien interindividuel (calculés, respectivement, grâce au taux d’adhésion des personnes du territoire à une association et au taux de personnes qui voient au moins une fois par semaine leurs amis et voisins.)
L’étude de l’ISS de 2008 a permis pour la première fois d’avoir une comparaison inter-régionale de la santé sociale : il apparaît alors que la santé sociale est meilleure, d’une manière générale, dans le centre et l’ouest du pays (en particulier dans le Limousin, la Bretagne et les Pays de la Loire) et qu’au contraire, la santé sociale la plus médiocre est observable dans le Nord-Pas de Calais, le Languedoc-Roussillon, la Picardie et la Provence-Alpes-Côte-d’Azur.
Mais surtout, on observe une vraie différence entre ce classement inter-régional et celui en fonction du PIB par tête : l’Ile-de-France et la Provence-Alpes-Côte-d’Azur sont placées en tête en termes de richesse économique (respectivement, première et troisième au classement) mais perdent de nombreuses places au classement de la santé sociale (17e et 19e). De façon comparable, le Nord-Pas de Calais est 16e au classement du PIB/tête mais dernier si on se réfère à l’ISS. Au contraire, le Limousin est 19e sur 22 pour le classement économique, mais largement premier en ce qui concerne la santé sociale.
Enfin, l’ISS permet de suivre dans le temps l’évolution des différents items qui composent l’indicateur : en région Nord-Pas de Calais, on observe entre 2004 et 2008 par exemple que le taux de pauvreté monétaire des enfants de moins de 17 ans est en légère diminution, alors qu’il augmente d’un point sur l’ensemble du territoire national, même si la région demeure celle où ce taux est le plus fort en France. Autre exemple : l’espérance de vie augmente dans la région, mais cette augmentation est moins forte que la moyenne française. Une démarche inspirante, puisque l’Ille-et-Vilaine a elle aussi entamé une démarche de construction d’un indicateur de santé sociale en 2012 : quatre ans plus tard, cela a permis de cartographier les territoires du département et d’établir une distinction entre les besoins des territoires ruraux (dont la santé sociale se dégrade du fait d’une offre faible en termes de services sociaux et médicaux et de mobilité) et ceux des territoires urbains (dont la santé sociale faible est liée aux questions d’emploi, de revenus et d’éducation).