Carol'Or, monnaie locale belge
Cette initiative inspirante a été réalisée dans le cadre d’un projet en partenariat avec l’ESCP, c'est pourquoi le format est un peu différent. Le Labo de l’ESS a accompagné en 2021 un groupe d’étudiantes pour la réalisation d'un travail d’analyse sur l’ESS en Europe, plus précisément en Allemagne et en Belgique. En plus du mémoire, que le Labo a synthétisé sous forme de décryptage, le groupe a interviewé trois initiatives inspirantes européennes : retrouvez l’une d’entre elle ci-dessous.
BELGIQUE
Une monnaie locale citoyenne
L’entretien autour de cette initiative s’est déroulé avec Nicolas Leroy, membre historique de l’association belge Carol’Or. Passionné par les questions sociales et environnementales et décidé à agir localement, c’est tout naturellement que Nicolas s’est embarqué dans ce beau projet de monnaie locale.
Pourquoi avoir créé l’association Carol’Or ? Les fondateurs ont été inspirés par le film français « Demain » de Cyril Dion et Mélanie Laurent (2015) qui présente, entre autres, le concept des monnaies locales. Nicolas Leroy démontre facilement tout l’intérêt de ces monnaies alternatives :
« Contrairement aux monnaies conventionnelles, les monnaies locales sont gérées par les utilisateurs eux-mêmes et ne nécessitent pas d’intermédiaires tels que l’État ou les banques. De fait, une monnaie décentralisée protège la communauté locale de l’instabilité du marché global. Ensuite, une monnaie locale complémentaire a l’avantage de favoriser le développement de l’économie de proximité étant donné qu’elle peut seulement être utilisée dans des magasins locaux. De ce fait, les monnaies locales réduisent également les effets néfastes sur l’environnement causés par la consommation de produits venant de loin. »
En 2016, une quinzaine de citoyens de Charleroi (Wallonie) se réunissent régulièrement avec pour objectif de promouvoir et favoriser l’autonomie de l’économie locale, la souveraineté alimentaire, le développement de la finance solidaire et inclusive et l’échange de biens et de services durables. C’est pour atteindre ces buts que le collectif décide de créer une monnaie locale sous le nom de « Carol’Or ».
L’un de ses membres travaillant avec la mairie de Charleroi, le collectif bénéficie d’une forte visibilité parmi les employés et élus de la mairie. Cela a facilité le développement de partenariats avec les collectivités territoriales et la garantie de pouvoir échanger des euros contre des Carol’Or au sein de l’administration publique, comme dans divers points de vente locaux.
Aujourd’hui, ce sont 475 commerces de Charleroi qui acceptent le Carol’Or et la monnaie est disponible en billets et sous forme électronique.Les membres du collectif, qui ne se connaissaient pas auparavant et viennent de milieux différents, sont réunis par leur volonté d’agir au sein de leur communauté pour préserver la planète.
Une initiative basée sur la coopération
Carol’Or n’est pas seulement soutenue par les citoyens et bénévoles animés par le besoin d’améliorer la société et de mettre en place des alternatives au modèle économique actuel, elle bénéficie également du soutien de l’association Financité.
Cette dernière lutte pour plus d’inclusion financière, son but étant de développer et promouvoir une finance éthique et solidaire en Belgique. L’association est à l’origine de nombreuses monnaies locales dans le pays. D’après elle, il existerait 16 monnaies locales en Belgique francophone, soit l’équivalent de 2 000 commerçants et 196 municipalités concernés.
Au total, plus d’un million d’unités de monnaies locales circulent en Wallonie en 2021 (Tendences trends article, 2021).
Le soutien de Financité a été fondamental pour Carol’Or. Outre la légitimité conférée par ce partenariat, il a directement permis l’approbation du par l’autorité Belge des Finances et de la Régulation, Lui conférant ainsi une existence légale.
Reconnue « organisation permanente d’éducation » par la Fédération Wallonie-Bruxelles, Financité soutient financièrement le Carol’Or, permettant l’organisation d’événements de sensibilisation aux enjeux des monnaies locales.
Malgré le soutien reçu de l’autorité Belge des Finances et de la Régulation, la monnaie locale n’est pas légalement reconnue comme une monnaie, car seul l’Etat est en droit de la créer. Ainsi, le Carol’Or est-il plutôt vu comme un « ticket de soutien » à l’économie locale ou un « bon de soutien » pour l’économie. La circulation du Carol’Or est limitée à 1 million d’unités en circulation de manière à ne pas venir « concurrencer » la monnaie courante : on en dénombre entre 200 000 et 300 000 émis à ce jour.
La principale ressource de l’association Carol’Or provient des adhésions de ses commerces membres partenaires (25 euros par an).
Certains projets de Carol’Or font également l’objet de financements nationaux par ’Etat belge, visant à sensibiliser le grand public à l’importance de la participation citoyenne dans la vie sociale, culturelle et politique.
Un important soutien des autorités locales en temps de crise
La coopération avec les autorités publiques s’est montrée cruciale pour le développement du Carol’Or. Pendant la crise sanitaire, malgré une certaine baisse d’activité liée au fait que l’association ne pouvait pas organiser d’événements, ni tenir les présences dans les points de change, la ville de Charleroi a décidé d’associer la monnaie locale au « Plan de relance », initié pour rebooster l’économie locale et les commerces touchés par la pandémie.
C’est ainsi qu’entre septembre et décembre 2020, la ville de Charleroi a décidé de distribuer 20 Carol’Or (soit 20€) à tous les habitants (dont les enfants) des 15 municipalités de Charleroi, dans l’objectif de faire circuler la monnaie localement.
Grâce à cette initiative, environ 4 millions d’euros ont été investis dans le commerce local et le Carol’Or a fortement gagné en visibilité. Le nombre de commerces partenaires a été multiplié par quatre. La ville de Charleroi a également soutenu l’association gestionnaire du Carol’Or en nature, par le prêt d’un local en centre-ville, et financièrement pour l’emploi de deux personnes à temps partiel sur les trois prochaines années. Nicolas Leroy met bien en avant qu’actuellement, l’association capitalise sur la visibilité et le renforcement dont elle a bénéficié à travers ce soutien municipal.
Le Carol’Or, une initiative sociale et solidaire…
Quand on demande à Nicolas Leroy s’il se reconnaît comme acteur de l’économie sociale et solidaire, il répond qu’il n’est pas totalement familier avec ce concept qu’il a du mal à définir. Pourtant, Carol’Or relève bien de l’économie sociale et solidaire sur son territoire puisque cette monnaie participe à la transition vers une économie plus juste et durable. En effet, la monnaie locale permet de conserver des emplois, de dynamiser l’économie dans la région de Charleroi, ainsi que de favoriser le lien social.
…avec de nombreux défis à relever
Le développement du Carol’Or n’a pas toujours été linéaire et l’association a dû faire face à plusieurs difficultés, notamment à ses débuts. En effet, il n’était pas facile de persuader les citoyens et les commerçants des bénéfices de l’utilisation d’une monnaie locale. Certaines personnes pensaient que la circulation de deux monnaies en parallèle créerait des complications, d’autres voyaient la mise en place du Carol’Or par le seul prisme économique, sans considérer les bénéfices sociaux qui en découlent.
Carol’Or a ainsi démarré avec une petite trentaine de partenaires commerçant convaincus. Ensuite, afin d’élargir ce réseau, les bénévoles ont dû mobiliser différents canaux de communication (réseaux sociaux, radio locale, organisation d’évènements d’information...) et persévérer afin d’engager d’autres commerces locaux dans l’initiative.
Carol’Or a également dû faire face à certaines difficultés financières relatives aux coûts inattendus d’impression des billets d’une part, et à la logistique relative à l’échange entre les euros et les Carol’Or dans les points de vente d’autre part.
Les disponibilités variables des bénévoles et la difficulté de leur renouvellement ont un impact sur le développement du projet. Si l’étendue du projet est de plus en plus large territorialement, le nombre de bénévoles actifs mobilisés, une vingtaine à l’origine, a été divisé par deux… Cette perte de forces vives ralentit le développement du projet.
Outre les deux embauches réalisées récemment dans l’équipe, Nicolas Leroy est conscient des besoins en recrutement pour la structure. Cela permettrait de professionnaliser l’activité de l’association et d’étendre l’impact de la monnaie locale. A l’heure actuelle, l’association n’a pas les ressources nécessaires pour auto-financer de la masse salariale, d’où le recours aux financements publics de l’Etat et des collectivités locales.
Mesure d’impact et retour d’expérience
Nicolas Leroy dispose de plusieurs indicateurs quantitatifs pour mesurer l’impact du Carol’Or : il s’agit du nombre de partenaires avec qui l’association travaille, du nombre de billets (physiques et électroniques) en circulation, du nombre de personnes qui suivent l’association sur les réseaux sociaux…
Rétrospectivement, l’équipe de bénévoles note qu’un financement participatif pour le lancement du projet aurait permis de susciter rapidement l’adhésion, et facilité son démarrage. L’autre leçon tirée de cette expérience est que la professionnalisation et le changement d’échelle d’un collectif informel à une organisation établie peut s’avérer complexe et délicat. Une levée de fonds assez tôt dans le processus de création afin d’engager des salariés à plein temps dès le début du projet n’est pas à négliger afin de faire face aux difficultés de manière plus linéaire, en complément de l’engagement des bénévoles.
Crédits photos : Carol'Or
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