Romain Slitine
Activons le potentiel démocratique de l’ESS !
La gouvernance démocratique est l’une des promesses de l’ESS. Elle repose sur un équilibre chaque fois différent en fonction de la nature des projets, de la structure juridique adoptée et des parties prenantes impliquées. Dans la pratique pourtant, trop souvent, elle se limite à des principes (« une personne, une voix », élection de représentants) mis en œuvre de manière formelle. Or les statuts ne suffisent pas à assurer la qualité démocratique d’une organisation : l’enjeu est d’expérimenter de nouvelles manières de prendre des décisions collectives, de collaborer, et de remobiliser les parties prenantes autour du projet.
L’exigence des citoyens qui se manifeste fortement aujourd’hui pour participer davantage aux décisions invite à aller beaucoup plus loin pour faire vivre la démocratie dans les organisations de l’ESS. « La poursuite du processus de démocratisation dans les sociétés contemporaines appelle à une démocratisation de l’économie » souligne Jean-Louis Laville, ce qui suppose « la pénétration des principes démocratiques dans les activités de production, d’échange, de commerce, d’épargne et de consommation. »
Reste à savoir comment faire vivre les valeurs et activer le potentiel démocratique des organisations de l’ESS. Si la question est complexe, l’une des pistes les plus concrètes réside dans le rapprochement des mondes avec les acteurs de l’innovation démocratique qui ouvrent des pistes inédites pour accroître le pouvoir des citoyens sur la vie politique ou rendre le gouvernement plus transparent et collaboratif. Les solutions qu’ils développent pour répondre à la crise démocratique de la Cité peuvent inspirer les pratiques des entreprises.
Au sein de nombreuses entreprises de l’économie sociale (en tout premier lieu les mutuelles et les coopératives), la démocratie est fondée sur les élections et le principe de représentation. Ces organisations se confrontent à un intérêt modéré des sociétaires pour les élections avec des taux de participation souvent faibles. Pour faire vivre les élections, la première étape est d’informer autrement pour sortir du syndrome du « toujours les mêmes » (qui participent). C’est le projet par exemple d’Accropolis, la première chaîne politique en ligne qui décrypte pour les jeunes la vie politique de manière simple et accessible. La chaine utilise en particulier les « codes » des logiciels vidéo et les interactions entre les internautes et les journalistes sont permanents. Certaines organisations de l’ESS pourraient également s’inspirer du mouvement Tous Elus. Son ambition est de favoriser le renouveau des candidatures en incitant en particulier les jeunes à se présenter lors des prochaines municipales. Cette approche pourrait se décliner pour encourager le plus grand nombre à s’investir dans les élections mutualistes ou coopératives. En complément, mettre en œuvre le « jugement majoritaire » avec Mieux Voter permettrait de traduire plus finement la volonté des participants au sein des organisations.
Faire vivre la démocratie suppose aussi de dépasser le « cadre logique » du système représentatif électif pour associer directement les différentes parties prenantes à la décision. La collaboration ne se décrète pas, elle se construit et s’anime au quotidien. L’Université du Nous popularise la « gouvernance partagée » pour les organisations à la recherche de nouvelles façons de s’organiser. D’autres acteurs, comme Les co-citoyens, développent des ateliers d’intelligence collective pour que les parties prenantes construisent des projets qui font sens pour eux sur les territoires. En parallèle, un certain nombre de plateformes numériques (les civictechs) proposent de prendre les décisions avec l’ensemble des acteurs impliqués. Que ce soit la plateforme Consul utilisée par la mairie de Madrid pour décider des grandes orientations politiques de la ville avec l’ensemble des habitants ou encore Bluenove et Demodyne en France, ces plateformes apportent des solutions innovantes.
Enfin, il est possible pour les entreprises de l’ESS de participer de manière plus forte dans le débat public en s’appuyant sur ses adhérents afin de constituer un véritable « lobby citoyen ». Les sites de pétition en ligne comme change.org ou wesign.it permettent de faire émerger des sujets et mobiliser fortement autour d’eux. Co-construire des positions avec l’appui de milliers voire de millions de personnes est aujourd’hui également possible. La consultation citoyenne organisée par la Mutualité Française avec Kawaa a permis par exemple de faire remonter des adhérents 23 propositions pour une Europe sociale dans le cadre des prochaines élections européennes.
« Ce n’est pas une crise c’est un changement de monde » prophétisait Michel Serres en 2012. L’ESS est déjà au cœur de la transition économique et écologique. A elle d’être aux avants postes de la démocratie en entreprise.