Tribune
Publié le 9 novembre 2017
Luc de Larminat

Luc de Larminat

Directeur d’Opale - CRDLA Culture

Accompagner les coopérations culturelles et artistiques

Qu’elles soient très abouties dans leur organisation ou encore fragiles et expérimentales, des centaines d’expériences de coopération dans le champ culturel et artistique s’inscrivant dans l’économie sociale et solidaire se développent partout en France. Elles constituent aujourd’hui sans aucun doute des solutions innovantes à valoriser et à soutenir pour une politique culturelle renouvelée.

Faute de recensement, ces initiatives de coopération sont difficiles à chiffrer exactement, plusieurs centaines probablement, issues de la diversité des pratiques collectives et partenariales des acteurs. De la place qu’occupe Opale, à la croisée de multiples réseaux, à un poste privilégié d’observation, on peut estimer qu’elles concernent une part importante des 260 000 associations culturelles, parmi lesquelles 35 000 employeuses faisant travailler plus de 170 000 salariés, pour un budget cumulé estimé à 8,3 milliards d’euros.
Ainsi, nous identifions notamment comme projets de coopération :

  • Les collectifs avec lieu mutualisé (friches, lieux intermédiaires, fabriques artistiques, tiers-lieux ou pépinières, collectifs artistiques) ;
  • Des projets coopératifs avec participation citoyenne (SCIC, AMACCA, Cigales…),
  • Des coopérations territoriales renforcées (PTCE, Cluster),
  • Des groupements d’employeurs, coopératives d’activités et d’emplois,
  • Des collectifs formalisés et moins institutionnalisés (actions ponctuelles ou régulières, organisation d’un événement).

Pourtant ces expériences très nombreuses, qui représentent une grande diversité de situations, demeurent peu visibles dans le paysage très institutionnalisé et normatif du champ culturel et artistique. Et quand elles le sont, elles font parfois l’objet de critiques, pas assez grosses, pas assez homogènes pour être enfermées dans un label, pas assez innovantes, …en un mot jamais tout à fait dans les clous pour être prises en considération !

Le plus souvent, ces initiatives d’acteurs s’organisent sur un même territoire que ce soit pour lutter contre des situations de crise ou de mise en concurrence, ainsi que pour réfléchir à de nouveaux modèles économiques plus justes et solidaires. Elles font de la coopération une valeur, un terrain d’expérimentation et un moteur de développement. Ces expériences cherchent également à dépasser cette contradiction entre la mise en concurrence imposée, la marchandisation du domaine culturel et des associations et, dans le même temps, la nécessité d’une organisation globale plus coopérative et égalitaire1. Elles peuvent également contrebalancer une double tendance, d’un côté à l’accroissement du nombre de structures et de projets, de l’autre au resserrement du soutien public à ces projets dont les collectivités usent pour accompagner budgétairement leur fonctionnement. Au-delà de ces volontés s’ouvre la nécessaire réflexion sur le partage de la valeur, de la solidarité ou de l’exercice de la démocratie.
Ces espaces de coopération nous rappellent au passage que l’art et la culture ne sont pas d’abord affaire de marché et d’industrie, ni d’administration publique mais de citoyens qui œuvrent pour que la culture et l’art soient fondés sur la participation de tou·te·s à la vie culturelle, la primauté des droits des personnes et du respect de la dignité (droits culturels), de la non lucrativité et de la solidarité.

Comme le rappelle dans son manifeste l’UFISC qui réunit nombre de ces expériences : "les différentes formes possibles de coopération sont le fondement même de toute valeur, tant symbolique qu’économique, des activités humaines. L’actuelle hégémonie des principes exacerbés de concurrence et de compétitivité conduit à un appauvrissement global de la nature et de la condition humaines. Un autre mode de développement et de production de la richesse est possible. Plus qualitatif, il repose sur des formes de gestion et d’organisation partagées et solidaires qui privilégient la personne humaine dans toute activité entreprise."

Entre le manque de reconnaissance et un contexte budgétaire peu favorable à ces initiatives, nous proposons des pistes d’accompagnement pour soutenir ces projets de coopération : accompagnement renforcé via le DLA (Dispositif local d’accompagnement), soutien à des postes d’animation, renforcement de la trésorerie et des fonds propres, articulation avec des financements participatifs et solidaires, capacité de contractualisation pluripartite et pluriannuelle avec les collectivités, formation des acteurs à la coopération, croisement avec d’autres secteurs (insertion, social, éducation).

Ainsi, à la frontière des questions d’emploi, d’innovation sociale, de politiques culturelles et d’économie sociale et solidaire, ces initiatives sont une véritable opportunité pour imaginer et réfléchir l’avenir du champ culturel et artistique.

  • 1"Un nouveau référentiel pour la culture ? Pour une économie coopérative de la diversité culturelle", Ph. Henry, éd. de l’Attribut, 2013
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