Tribune
Publié le 18 janvier 2018
Françoise Bernon

Françoise Bernon

Alors Déléguée générale du Labo de l'ESS

Les territoires : lieux d’innovations décloisonnés

Nous avons une vision administrative du territoire. Nous parlons de commune, de département, de région, et nous restreignons à des espaces délimités, soumis à une régulation. Notre vision est « top down » : elle est faussée ! La force d’un territoire est d’abord son histoire, sa géographie, ses ressources, ses acteurs, ses entreprises, ses citoyens…

Regardons les territoires par le prisme de leurs projets. Un projet peut s’inscrire dans un quartier, un bassin d’emploi, un territoire isolé ou bien encore une zone prioritaire, un immeuble… ce sont ses acteurs qui en définissent le périmètre.

Depuis la création du Labo de l’ESS, nous affirmons que la mutation économique en cours trouvera ses solutions dans les territoires. Si « l’on entend le fracas des arbres qui tombent, on n’entend pas le murmure de la forêt qui pousse1 ». Les pionniers à l’origine de ces murmures, souvent acteurs de l’ESS, nourrissent leur force créatrice d’innovations et construisent des solutions tournées vers l’avenir. L’intérêt général, le respect de l’Homme et de son environnement font partie intégrante de leur vision : valoriser les ressources locales. Malgré ces vertus, ils se sentent souvent peu reconnus.

Face à la désertion dans les zones rurales, l’ESS recrée des écosystèmes vertueux :

L’éco-domaine de Bouquetot, dans le Calvados, fédère différents acteurs pour une coopération autour de l’écologie, de l’éducation à l’environnement, de l’innovation agricole biologique, de l’écoconstruction et de l’éco-tourisme à travers l’organisation structurée d’un PTCE.
Dans un contexte rural touché par le chômage à la suite de la désindustrialisation du territoire dans la Vallée de l’Aude, le PTCE 3.EVA fédère des acteurs, chefs d’entreprise, élus, gérants, formatrices, qui ont su impulser une nouvelle dynamique vertueuse en structurant un projet global de développement territorial qui fait sens. Ils ont ainsi instauré un processus de décloisonnement sur le territoire audois, un renouvellement des pratiques traditionnelles et une stratégie d’actions, tous visant le développement de l’activité économique du territoire.
De la même manière, une ancienne brasserie et usine d’empaquetage de bouteille s’est transformée en projet de tiers-lieu : Le 111 à Châlons-en-Champagne consacré à l’économie sociale et solidaire, à l’économie en circuits courts et à l’artisanat local.

Lorsque l’inclusion sociale de personnes éloignées de l’emploi ne trouve pas de solution, l’ESS invente l’insertion par l’activité économique dont l’objet premier est d’accompagner vers l’emploi ceux qui étaient considérés inemployables. Ainsi Baluchon, structure d’insertion par l’activité économique (SIAE) située au cœur de la cité Marcel Cachin de Romainville, crée de l’emploi dans un quartier politique de la Ville en proposant aux salariés des entreprises d’Ile-de-France des petits plats cuisinés à partir de produits frais, non transformés et achetés en circuits courts. Biocabas lancé par la coopérative de producteurs Norabio, en partenariat avec le Groupement des Agriculteurs Bio du Nord-Pas-de-Calais propose des paniers de fruits et légumes bio à tarif réduit pour des personnes en difficulté. Grâce au soutien des collectivités locales, le consommateur ne paie que la moitié du prix du panier. Les paniers sont distribués dans une centaine de points relais en métropole lilloise par des salariés en insertion.

La transition écologique et spécifiquement la transition énergétique deviennent incontournables, les citoyens créent des structures adaptées à leur territoire pour répondre à cette volonté. Des citoyens réunis par le désir commun d’aller vers des énergies renouvelables sur leur territoire tout en contrôlant les retombées et la maîtrise des installations ont créé Combrailles Durables, par exemple. La transition énergétique a ainsi permis aux citoyens des Combrailles de prendre le contrôle sur la production de l’énergie dans leur environnement, de s’impliquer et de devenir acteur de leur territoire.

Nous pourrions démultiplier les exemples de projets territoriaux développés par les acteurs de l’ESS. Perçus encore comme alternatifs et marginaux il y a quelques années, ils commencent aujourd’hui à faire force et s’inscrire de façon durable dans les nouveaux modes de production et consommation auxquels nous aspirons. Entreprises, collectivités et acteurs de la société civile voient doucement sortir de l’ombre cette économie résiliente et en capacité de construire les mondes de demain.

Depuis plus de 7 ans, le Labo de l’ESS est leur portevoix. Il s’en inspire, les étudie pour en dégager des lignes de force structurantes et transformatrices faisant valoir ces innovations, cette autre façon d’aborder le développement économique des territoires. Toutes les portes sont ouvertes, les enjeux sont de taille, et il semble que le petit tintement de la musique ESS et de ses atouts commence à être entendu, reconnu, voire copié… espérons que nous aurons droit de participer à l’écriture de la partition à suivre.

  • 1Proverbe africain
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