La Cavale : une aventure collective ancrée dans le territoire
Implantée dans le très vivant quartier des Beaux-Arts, à Montpellier, La Cavale est l’une des rares librairies coopératives françaises. Ouverte il y a un an et demie, ce lieu de vie et de culture définitivement ESS permet de créer du lien social, de promouvoir un modèle de commerce de proximité humain, en opposition au modèle Amazon et de démocratiser l’accès aux livres. Rencontre avec l’énergique Sylvain Bertschy, l’un des nombreux coopérateurs ayant donné vie à ce lieu hors du commun.
Commerce en péril ? Collectif à la rescousse !
L’histoire démarre au printemps 2018, lorsqu’une librairie indépendante du quartier des Beaux-Arts de Montpellier risque la fermeture par faute de repreneur. Un petit groupe d’habitants du quartier, ne souhaitant pas voir disparaître un de leur commerce de proximité évoquent, autour d’un apéro, l’idée de la reprendre, pourquoi pas de manière collective. Bénéficiant d’un réseau de connaissances dans le milieu de l’économie sociale et solidaire, ils se renseignent et s’orientent rapidement vers le modèle coopératif et plus particulièrement le statut de SCIC1. Après avoir discuté avec le revendeur qui est emballé par le projet, chacun mobilise son réseau personnel et celui des associations de quartier, dont l’association des Beaux-Arts2, pour trouver des intéréssé.e.s. Le pari fou devient vite réalité puisqu’une première réunion d’information – qui réunit entre 35 et 40 personnes - est organisée au mois de mai 2018 pour présenter le projet et expliquer l’intérêt du modèle coopératif. Elle permet de lancer une vraie dynamique collective, d’établir un agenda et de se répartir le travail selon différents « comités » (subvention, « business plan », « communication » etc.). La machine est lancée !
A la fin de l’été un tournant apparaît puisque le libraire revendeur, doutant de la capacité du collectif à finaliser le payement, refuse finalement la reprise de la librairie. Mais le collectif, déjà bien impliqué a plus d’un tour dans son sac et décide de poursuivre l’aventure non pas en reprise mais en création de librairie ! Du juridique au financier, tout le monde met la main à la pâte et notamment lors des travaux du local où les coopérateur.ice.s ont aidé à la peinture comme à la plomberie. « Pour une grande partie des gens un moment fondateur de l’histoire de la coopérative » note Sylvain Bertschy. Après six mois de travail, la librairie ouvre ses portes le 21 novembre 2018 et permet de salarier deux libraires professionnels à 35 heures à égalité salariale.
La force de l’organisation collective
Un an et demie après, ce ne sont pas moins de 400 coopérateurs qui ont pris part à l’aventure. Si tous ne sont pas impliqués quotidiennement, le noyau dur tourne autour de 12 à 25 personnes. Avec une part sociale volontairement accessible (20€), chacun.e peut s’impliquer sur l’un des aspects du projet : de la communication sur les réseaux sociaux ou envers les journalistes à la rédaction de « coups de cœur » en passant par l’organisation de rencontres et d’animations, il y en a pour tous les goûts ! Le mantra : « ne pense pas que tu dois savoir-faire pour faire » anime le collectif puisque les initiateurs du projet ne connaissaient rien au métier du livre ou de la librairie. Sylvain Bertschy remarque d’ailleurs que cette philosophie est « un des grands trucs qui a mobilisé le collectif ». Des moments festifs ouverts à tous comme l’inauguration ou les un an de la libraire et d’autres plus internes à la vie coopérative permettent de créer du lien entre le collectif ainsi qu’avec les habitants et commerçants du quartier.
Créer du lien social et démocratiser l’accès au livre
Après dix-huit mois passés à faire fonctionner la librairie et à sécuriser son modèle économique, l’équipe de La Cavale souhaitait, en 2020, développer sa politique non commerciale d’éducation populaire. L’idée ? Aller à la rencontre des personnes éloignées du livre dans les EHPAD ou les quartiers politique de la ville pour organiser des ateliers de lecture ou d’écriture. Un stock de livres en bon état est en cours de constitution et plusieurs contacts sont déjà établis avec des personnes qui œuvrent à démocratiser la lecture et l’écriture. Pour se déplacer plus facilement, la librairie dispose même de « La Cavalcade », un vélo-cargo construit par des artisans du coin et financé grâce à un crowdfunding.
Seulement voilà, la crise sanitaire est venue saborder tous les beaux projets des coopérateur.ice.s. Mais Sylvain Bertschy reste optimiste : « Nous allons pouvoir prendre le temps d’identifier les réseaux avec qui travailler avant de lancer les choses. Nous avons vocation à rester donc nous ne sommes pas à six mois près là-dessus ! »
S’il reste encore à organiser le financement de cette politique non commerciale en se tournant vers de potentiels mécènes mutualistes ou de l’économie sociale et solidaire, les coopérateur.ice.s ont commencé à constituer un petit fonds grâce à deux prix qu’ils ont reçu en participant à des concours organisés par la Région ou des instances de l’ESS.
Une coopérative en tant de pandémie
La crise est arrivée sans crier gare. Les membres de la librairie ont connu un petit temps d’inertie mais ils ont su agir rapidement : fermeture de la boutique, report des cotisations, des charges, du loyer et mise au chômage partiel des deux libraires. Ces derniers ont pu bénéficier de leurs salaires à 100% en mars et avril puisque la coopérative a réussi à leur reverser les 16% non couverts par le chômage. « C’est là qu’on voit l’intérêt du collectif car en indépendants, les libraires n’auraient eu aucun revenu sur ces deux mois-là ! » affirme Sylvain Bertschy.
La Cavale a par ailleurs rapidement mis en place un système de dons et de bons d’achats permettant de pré-commander des livres puis, à partir de fin avril, la librairie lance le « SLIP » : Service de livraison à la porte. Les coopétateur.ice.s ont été très présents pour mettre en place ce système en respectant les règles de sécurité et pour aider à distribuer les livres. « La Cavalcade » a également repris du service pour livrer les clients les plus âgés ou les plus éloignés. Ce vélo-cargo a aussi permis d’organiser un service de livraison commun avec d’autres librairies indépendantes de Montpellier pour mutualiser les trajets.
Côté communication, des coopérateur.ice.s mettent en place des jeux sur les réseaux sociaux, montent des vidéos d’auteurs et de lecteurs conseillant des livres pour le confinement et ne cessent d’animer la petite communauté qui gravite habituellement autour de la boutique.
Grâce à cette organisation collective et à la mobilisation de bon nombre de coopérateur.ice.s, la librairie a pu, au mois d’avril, réaliser 65% de son chiffre d’affaire mensuel. Autre avantage du statut coopératif : La Cavale a pu être accompagnée pendant la crise par des réseaux comme l’URSCOP3 Occitanie qui a pour but de promouvoir et d’accompagner les coopératives de la régionet par leur cabinet comptable, aussi en coopérative. Ainsi, ils ont rapidement bénéficié de conseils et de réponses sur les mesures à prendre face à la crise sanitaire et les dispositifs mis en place pour ce type de structure.
Si peu de librairies coopératives existent aujourd’hui en France, La Cavale montre que ce modèle présente de nombreux bénéfices. Le collectif, qui en peu de temps, a réussi le pari de créer un lieu culturel de proximité vecteur de lien social, démontre qu’il est possible d’avoir un modèle économique viable et démocratique, bien loin de la logique capitaliste. Max Twain disait « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait » et c’est ici que réside la plus grande fierté de La Cavale !
Rédaction : Sophie Bordères
Photos : La Cavale
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