Décryptage
Publié le 30 novembre 2020
Vélo accroché au dessus d'un magasin
Mots clés
ESS
circuits courts
coopération
alimentation
transition énergétique
habitat

Les circuits courts : manger local, et bien plus encore !

Au cœur des débats en pleine crise sanitaire et face au confinement national, les « circuits courts » semblent unanimement plébiscités. Pour beaucoup, ce terme aujourd’hui passé dans le langage courant est synonyme d’une relocalisation de notre alimentation. Pourtant, les circuits courts ne se résument pas à consommer local et concernent bien d’autres domaines que l’alimentation.

Les circuits courts ne sont pas synonymes de localisme

On associe souvent circuits courts et consommation de produits locaux. La proximité géographique n’est pourtant pas ce qui les caractérise.ainsi, contrairement à l’idée reçue, la question de la proximité n’est pas au cœur de la définition institutionnelle des circuits courts alimentaires qui les désigne comme « un mode de commercialisation des produits agricoles qui s’exerce soit par la vente directe du producteur au consommateur, soit par la vente indirecte, à condition qu’il n’y ait qu’un seul intermédiaire entre l’exploitant et le consommateur1 ». On le voit, c’est une proximité dans l’échange plutôt qu’une proximité géographique qui caractérise le circuit court2, même si la réduction des intermédiaires implique souvent mécaniquement un rapprochement spatial (impossible d’acheter en direct des bananes ivoiriennes quand on habite dans le Luberon !). Or, pour réellement cerner ce qui fait la spécificité des circuits courts, il faut aller plus loin et s’intéresser à la façon dont ils transforment les relations d’échanges, qui vont bien au-delà d’une simple interaction commerciale. dans ses travaux de 2013 et 2015, le Labo de l’ESS a mis en évidence quatre éléments-clés de ce qu’il nomme les « circuits courts économiques et solidaires », que nous illustrerons avec un exemple bien connu de circuit court : les associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP).

  1. Le lien social. Loin d’être une relation strictement financière, les circuits courts économiques et solidaires favorisent l’interconnaissance et le partage entre les parties prenantes de l’échange. ainsi, la relation d’échange entre le·la paysan·n·e et les adhérent·e·s de l’aMap va bien plus loin que le contrat qui les lie : visites à la ferme, discussion autour de la production, rencontres festives, autant de moments conviviaux qui ne se résument pas à une transaction financière !
  2. La coopération. Les circuits courts s’inscrivent dans un véritable projet collectif dépassant la simple prestation. pour que l’aMap fonctionne et se développe, les producteur·rice·s et les adhérent·e·s doivent par exemple définir et construire collectivement des réponses aux enjeux logistiques. À l’inverse de simples consommateur·rice·s, les amapien·ne·s sont par exemple mis·es à contribution et doivent s’organiser pour assurer la distribution des paniers.
  3. La transparence de chaque partie prenante sur l’ensemble des termes de l’échange. transparence relative aux prix et aux produits bien sûr, mais aussi concernant les financements ou encore la gouvernance du circuit court économique et solidaire. cette transparence est la condition première de la confiance qui lie l’ensemble des acteur·rice·s impliqué·e·s. ainsi, parce qu’il·elle·s savent où, par qui et comment leurs fruits et légumes sont produits, les amapien·ne·s peuvent les acheter sans craintes.
  4. L’équité enfin, chacun·e devant être rémunéré·e justement en fonction de sa contribution. Là aussi, ce principe est au cœur du projet des AMAP qui visent à garantir un prix raisonnable pour les acheteur·euse·s, et qui permette dans le même temps une juste rémunération du travail des agriculteur·rice·s.

Passer de la définition donnée par le Ministère de l’agriculture et de l’alimentation des circuits courts alimentaires à celle proposée dans le cadre des travaux du Labo de l’ESS n’implique donc pas qu’un simple changement de terminologie, c’est un véritable changement de perspective ! Le concept de circuits courts économiques et solidaires offre en effet un cadre de réflexion précieux pour analyser et mettre en valeur la richesse des impacts de ces formes d’échange dans lesquelles la qualité des relations sociales est tout autant valorisée, si ce n’est plus, que l’intérêt économique des transactions qu’elles entraînent. ces impacts sont au moins aussi importants que la relocalisation de notre économie dans la perspective d’une transition vers une économie plus soutenable et humaine. c’est vrai bien sûr dans le champ de l’agriculture et de l’alimentation, mais pas seulement !

Une femme regardant des livres dans une libraire

Penser les circuits courts au-delà de l’alimentation

Force est de constater que la notion de circuit-court a déjà commencé à infuser en-dehors du domaine de l’alimentation.

Le concept connaît même un franc succès dans le secteur de l’énergie, notamment avec le développement de l’autoconsommation énergétique collective. Associant producteur·rice·s et consommateur·rice·s d’énergie d’un même bâtiment ou d’un même périmètre géographique, son intérêt se trouve moins dans la proximité physique entre source d’énergie et lieu de consommation (l’énergie suit toujours le chemin le plus court), que dans la dynamique collective qu’elle génère. ces projets facilitent en effet l’interconnaissance et l’échange d’informations et de données entre l’ensemble des parties prenantes tout en permettant de se réapproprier collectivement les enjeux énergétiques. en témoigne l’exemple du projet d’autoconsommation collective de Sainte-affrique en Aveyron, associant Enercoop Midi Pyrénées, un magasin Biocoop local et une clinique vétérinaire, et que nous vous avions récemment présenté.autre domaine concerné par les circuits courts : la culture. On peut notamment citer les associations pour le Maintien des alternatives en matière de culture et de création artistique (AMACCA) qui permettent aux citoyen·ne·s d’appuyer le développement de projets culturels via du micro-mécénat, en devenant ainsi des « citoyen·ne·s-spectateur·rice·s-producteur·rice·s » impliqué·e·s dans la gouvernance du projet. Les librairies coopératives telles que La Cavale proposent quant à elles de s’investir largement dans la vie du commerce, en participant par exemple à la rédaction de fiches de présentation des livres ou à l’organisation d’événements.On pourrait ainsi multiplier les exemples d’initiatives non-alimentaires pouvant être très justement qualifiés de circuits courts économiques et solidaires, dans des domaines aussi variés que l’habitat, la finance ou encore la santé. d’ailleurs, cela fait quelques années que le Labo de l’ESS répertorie ce type d’initiative.

Mini marché alimentaire

De l’engouement pour les circuits courts alimentaires à une reconnaissance des circuits courts économiques et solidaires

On ne peut que se féliciter de la démocratisation du concept de circuits courts alimentaires et de sa mise en lumière comme levier majeur de transition écologique. Néanmoins, ce succès retentissant souligne dans le même temps le peu de connaissance partagée sur leur existence dans d’autres domaines (à l’exception peut-être du secteur de l’énergie). Or, pour une transition globale de notre économie, il est essentiel de développer massivement les circuits courts économiques et solidaires dans tous les domaines.

Pour cela, nous devons mieux les comprendre et analyser plus finement les conditions de leur réussite. Les collectivités territoriales doivent jouer un rôle de repérage à travers des appels à projets ou appels à manifestation d’intérêt visant à révéler les différentes formes de circuits courts développées sur leur territoire. Le Labo de l’eSS encourage par ailleurs les acteur·rice·s de la recherche à se saisir du concept de circuits courts économiques et solidaires, et à développer des partenariats académiques sur ce sujet.

La reconnaissance des multiples circuits courts économiques et solidaires passe aussi par la co-construction d’une véritable action permettant leur émergence, leur structuration et leur changement d’échelle. Là encore, les pouvoirs publics doivent être en première ligne en intégrant la question des circuits courts de façon transversale dans leurs actions et en dégageant des lignes de financement spécifiques pour encourager les projets à s’inscrire dans cette logique. d’autres organismes financeurs, comme l’ADEME ou la Banque des territoires tendent aussi à développer des circuits courts non-alimentaires, et pourraient officiellement flécher une partie de leurs fonds vers ces projets.

Le développement des circuits courts nécessite également leur mise en réseau pour faciliter l’échange d’expériences et de savoir-faire entre initiatives. La charte proposée par le Labo de l’ESS en 2017 constitue un premier pas vers la structuration d’un réseau national. dès 2015, le Labo proposait par ailleurs la constitution d’un observatoire visant à faciliter la capitalisation des expérimentations et projets existants dans la perspective de leur essaimage.

L’objectif ne doit pas être de développer des circuits courts sectoriels « en silos », mais bien d’encourager et d’accompagner leur intégration et leur résonance sur un même territoire. Les dynamiques de coopérations telles que les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) constituent un outil précieux pour ce faire. par exemple, le PTCE Figeacteurs a initié une dynamique collective à l’origine des projets favorisant les circuits courts alimentaires et circuits courts énergétiques. cette vision systémique est nécessaire pour permettre aux circuits courts de favoriser la résilience économique, écologique et sociale de nos territoires. alors contribuons ensemble à la reconnaissance et au développement de circuits courts économiques et solidaires !

 

  • 1Cette définition donnée par le Ministère de l’agriculture et de l’alimentation est celle qui est retenue notamment dans le code des marchés publics. Source : https://agriculture.gouv.fr/
  • 2On peut ainsi distinguer proximité géographique et proximité « organisée », la dernière pouvant se définir comme « la distance relationnelle entre deux personnes en termes de potentiel de coordination ». Source : praly, c. et al. (2009). La notion de « proximité » pour analyser les circuits courts. XLVIe colloque de l’aSrdLF, clermont-Ferrand, France. UrL : https://halshs.archives-ouvertes.fr/file/index/docid/617164/filename/asrdlf_praly_et_al_2009.pdf
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