Christian Sautter
L’autre finance existe
L’autre finance existe… et je l’ai rencontrée !
Cela n’a rien d’une découverte : des milliers d’entrepreneurs, des dizaines de milliers d’épargnants en font déjà un bon usage. Ses ondées bienfaisantes ne font certes pas l’actualité comme les "tsunami" de la finance spéculative, mais elle grandit discrètement et rapidement.
Et elle innove loin des cieux parisiens. Je me souviens de l’atelier passionnant qui lui était consacré au cours des États généraux de l’Économie Sociale et Solidaire en juin 2011. Les "cahiers d’espérance", magnifique initiative du Labo, avaient mis au jour des pratiques aussi joyeuses que clandestines dans l’univers toujours opaque et souvent inquiétant de la finance traditionnelle. Donnons quelques exemples, que les lecteurs de cette page vont, je l’espère, démultiplier.
L’épargne solidaire s’investit totalement ou partiellement dans des projets solidaires. Les salariés, les familles peuvent consacrer une fraction de leur épargne (il faut bien songer aux temps plus ou moins lointains de la retraite !) à épauler des entreprises d’insertion, des associations, des coopératives ou des entrepreneurs individuels : ces partenaires disposent ainsi de fonds pendant plusieurs années, à un coût faible, pour acheter le véhicule, les outillages, les bâtiments de leur nouvelle entreprise. Les réseaux d’épargne solidaire sont multiples : Cigales, Garrigue, La Nef et évidemment les Fonds communs de placement Insertion-emploi qui permettent à France Active de financer près de 800 entreprises solidaires chaque année.
Les "cahiers d’espérance" ont bien montré l’aspiration aux circuits courts : l’épargne solidaire est collectée localement pour financer des projets locaux connus, de l’autre côté de la route. Pour éviter de prendre trop de risques, des dispositifs régionaux ou nationaux de garantie jouent tranquillement. La finance devient alors un vrai lien social, une relation humaine entre des épargnants de bonne volonté et des entrepreneurs de bonne qualité. Des expériences existent aux quatre coins de notre pays, et aussi dans d’autres pays européens, sans oublier l’admirable Québec. Le Labo a pour passion de les faire connaître, de les diffuser, de les multiplier.
Dans notre monde où les capitaux volent au-dessus de nos têtes à des vitesses prodigieuses, en masses quasiment infinies, il est temps de revenir à une économie à taille et à vitesse humaines. Déjà, une vingtaine de "pôles territoriaux de développement économique", tels que celui de Romans, atteignent une taille critique qui permet à la croissance de s’entretenir elle-même. Ces "pôles" d’économie solidaire crèvent la chape d’indifférence des médias à tout ce qui n’est pas l’économie libérale classique. Ils sont les phalanstères du XXIe siècle.
De même que les syndicats, les coopératives, les mutuelles sont nées au XIXe siècle en contrepoids d’un capitalisme qui abusait de son pouvoir industriel, de même les entreprises sociales ou solidaires qui se multiplient aujourd’hui sont un antidote à un capitalisme financier qui a perdu la tête.
Ces jeunes pousses dissimulées sous les feuilles mortes de la tradition vont, en quelques décennies, devenir vigoureuses et redonner au monde économique les valeurs de justice, de démocratie, de solidarité, d’innovation qui lui font si cruellement défaut.
Cette renaissance ne viendra pas d’en haut mais de mille actions minuscules qui jailliront des profondeurs des territoires qui constituent notre pays, notre Europe. Ces jeunes pousses, aidez-les à les faire grandir, à les faire connaître.
L’autre finance existe, vous pouvez l’encourager.