Habitat et citoyenneté
L’économie sociale et solidaire regorge d’innovations en matière d’habitat et de logement. Les initiatives citoyennes apparaissent comme une alternative à la hausse des prix et au mal-logement. Elles montrent aussi une volonté de repenser les modes de vie et de renforcer le lien social.
Habitat participatif, habitat groupé, habitat intergénérationnel auto-géré et auto-promotionné, sont autant de terminologies évoquant le rassemblement citoyen autour d’un projet commun. Ces nouvelles façons d’habiter ne datent pas d’hier [1] mais un nouveau phénomène se développe : il s’agit d’une nouvelle conception du foyer qui consiste par exemple à faire cohabiter seniors et jeunes sous le même toit, deux publics qui subissent de plein fouet la crise et la hausse du logement. Les raisons économiques et pratiques sont assorties, de la part des résidents, d’une envie de changement dans le mode de vie, voire d’un projet commun. L’habitat groupé et l’habitat solidaire s’apparente alors à une forme d’action collective, un espace social construit par ses propres habitants. Ces nouvelles initiatives, qui se développent peu à peu en France, sont déjà bien ancrées dans d’autres pays du monde et plus particulièrement en Europe. Voici un petit tour d’horizon de l’habitat social et solidaire chez nos voisins :
- L’Allemagne recèle d’initiatives innovantes en matière de logement. L’exemple de Tübingen, ville pionnière en matière d’éco-habitat, est un modèle de réussite. Aujourd’hui, 80 à 90% des nouvelles opérations sont réalisées à partir de valeurs communautaires et éthiques. Ces groupes de construction, où les citoyens sont Maîtres d’ouvrage, sont appelés « Baugruppen ». Ce système présente plusieurs avantages : outre celui de réduire les coûts, ce type de projets permet également de développer la cohésion sociale en amont de l’aménagement. Autre exemple, la ville de Fribourg : elle possède l’un des éco quartiers les plus réputés d’Europe, Vauban. Ce quartier fonctionne selon un processus de participation citoyenne, coordonné par l’association le Forum Vauban. L’Allemagne est précurseur de ce nouveau mouvement et compte aujourd’hui plus de 6 millions d’habitats de ce type, dont 2 millions sous forme de coopératives d’habitants.
- Aux Pays Bas, face au vieillissement de la population, un mode d’habitat groupé se développe, appelé "Woongroepe " ou "Central Wonen". Il s’agit de logements intergénérationnels autogérés. On compte plus d’une centaine de projets de ce type, généralement mis en place par les collectivités locales. La particularité du cohabitat néerlandais est de diviser les grandes communautés en plusieurs « faisceaux » de 5 à 10 unités, qui bénéficient de leurs propres équipements. Tous les groupes partagent un bâtiment général afin de préserver des relations de bon voisinage. Les habitants se montrent solidaires, font des fêtes et se soutiennent dans les périodes difficiles. Wandelmeent, près d’Amsterdam, a ainsi l’apparence d’un petit village : c’est l’un des premiers Woongroepen jamais construits en Hollande ; Il date de 1977 et compte aujourd’hui environ 200 habitants.
- En Suède, des maisons communautaires appelées « kollektivhus » sont gérées par des associations, des coopératives d’habitants ou même par l’Etat et les municipalités. Cela représente un total de 700.000 logements, soit 17% du parc immobilier. Stoplyckan, avec ses 184 appartements, répartis dans 13 bâtiments, est un modèle en matière d’éco-habitat ayant bénéficié de soutiens publics. La particularité de ce petit village d’environ 400 co-habitants est le partage de certains espaces avec des agences publiques de santé, l’entretien (jardinage, déchets…), d’ateliers créatifs (couture, bricolage…) et la mise en commun d’une salle de jeux, d’une buanderie, d’une cuisine, etc. C’est aussi un moyen de pallier à l’isolement de certaines populations, par exemple les personnes âgées.
- Au sein du quartier de Christiania, situé en plein centre de Copenhague, au Danemark, se développent depuis 50 ans des projets de logement groupé. Certains regroupent jusqu’à 200 personnes.
- En Norvège, 15% des logements, dont 40% des logements à Oslo, sont construits en habitat collectif.
- La Suisse compte depuis le XIXe siècle de nombreuses expériences de coopératives d’habitants et le mouvement connaît une renaissance depuis les années 2000. Les locataires sont coopérateurs et aussi propriétaires de parts sociales de la coopérative ; ils décident de façon collégiale des investissements pour améliorer leur cadre de vie. Il existe environ 130 000 logements de ce type, soit 8% du parc immobilier, sur l’ensemble du territoire et un peu plus de 20% en zone urbaine.
- L’habitat groupé autogéré, qui s’est développé au Nord de l’Europe dans les années 1960, est très pratiqué en Belgique. Se rassemblent dans un espace commun des personnes ayant des intérêts communs ou convergents. De la conception à la gestion quotidienne des espaces, ils façonnent ensemble un environnement à leur image, par une action volontariste et collective.
- En Angleterre, les communautés de Cohousing font partie du développement urbain, avec la propriété individuelle des maisons ou des logements et la propriété commune de certains locaux. Du point de vue de l’organisation des espaces, l’architecture privilégie l’esprit communautaire mais chacun garde son indépendance. Le regroupement des voitures en un même lieu encourage les relations entre personnes. Les équipements collectifs sont conçus pour faciliter la vie quotidienne et font partie intégrante de la communauté. La gestion au jour le jour est assuré par les résidents.
Tous ces exemples puisés chez nos voisins européens nous montrent le potentiel de l’habitat participatif et les innovations possibles dans le domaine du logement. La France n’est pas en reste : de plus en plus de projets voient le jour, des initiatives certes éparses mais qui cherchent à se structurer. Pour preuve, la création de la Coordination Nationale des Associations de l’Habitat Participatif. Une association loi 1901 qui regroupe les principaux acteurs de ce secteur en France, à l’instar du Réseau Habitat Groupé, d’Eco Quartier Strasbourg, Habiter Autrement Besançon, ou encore l’association Habicoop. La coordination, qui organise notamment les Rencontres Nationales de l’Habitat Participatif, a pour missions de soutenir et d’assurer la promotion d’initiatives associatives au niveau national, mais également de permettre l’articulation de projets communs (comme le Livre Blanc de l’habitat participatif).
Concernant l’encadrement juridique, les choses se précisent. La Ministre du logement, Cécile Duflot, a rappelé toute l’importance que revêt, à ses yeux, l’implication des citoyens dans leur habitat. Elle a ainsi mis en place, dernièrement, une démarche de réflexion et de concertation avec tous les acteurs qui s’inscrit dans le travail préparatoire relatif à la future grande loi logement et urbanisme, qui sera présentée en 2013. Il s’agit de proposer un chapitre consacré à l’Habitat Participatif. Ceci permettra d’offrir un cadre législatif, réglementaire et fiscal adapté aux particularités des projets d’habitat participatif, pour en faciliter le développement. La loi-cadre sur l’ESS, prévue à l’automne 2013, pourrait également contenir des précisions sur les coopératives d’habitants, qui n’ont pour l’instant pas de statut juridique.