Hugues Sibille
Entrepreneuriat social : phase deux ?
L’entrepreneuriat social s’installe dans le paysage français. La Loi ESS le reconnait comme membre à part entière de la famille, s’il respecte des conditions de lucrativité limitée et de gouvernance conformes aux valeurs de l’ESS. En ce sens la loi française est à la pointe du droit européen. D’autres signes montrent cette installation : les organismes de création d’entreprises incluent un volet entrepreneuriat social. Le Salon des entrepreneurs témoigne d’un véritable engouement. Les enseignements supérieurs se multiplient. Les banques et organismes financiers mettent en place des outils dédiés. Les régions sont actives sur l’innovation sociale. Le Mouves se porte bien et fait maintenant partie de la Chambre française de l’ESS.
Il faut s’en réjouir vivement pour notre pays, tout en gardant un esprit vigilant sur les enjeux de la "phase 2" qui s’ouvre. Je pointe pour ma part quatre enjeux de moyen terme.
Le premier est de "tenir la promesse". L’entrepreneuriat social bénéficie d’une notoriété positive grâce à une forte médiatisation. Tenir la promesse, c’est montrer qu’on crée des modèles économiques robustes. Certains entrepreneurs sociaux confondent parfois leur revue de presse et leur chiffre d’affaires !! C’est aussi montrer que si "statut n’est pas vertu", comme l’entrepreneuriat social le dit souvent, "absence de statut n’est pas non plus vertu en soi". L’entrepreneuriat social doit donc entrer nettement dans la reddition de comptes, avec des processus et indicateurs convaincants de mesure d’impact et de respect des principes.
Un second enjeu, porte sur le changement d’échelle. Et pour commencer sur l’émergence d’entreprises sociales de taille intermédiaire (ESTI). Des groupes émergent (Vitamine T, SOS) mais encore peu nombreux. Il en faut d’autres. Non par goût du gigantisme. Mais pour être en capacité d’apporter les réponses à la taille voulue, avec les investissements voulus dans des secteurs comme la santé, la silver économie, ou l’économie circulaire, secteurs à intensité capitalistique. Ne pas le faire c’est admettre que la croissance implique à tous les coups le passage au pur lucratif. Je m’y refuse. Il faut donc des entrepreneurs "à la taille", des fonds propres "à la taille", et un accompagnement adapté.
Un troisième enjeu porte sur la frontière entre une partie du monde associatif et l’entrepreneuriat social. Nombre d’associations sont et seront de plus en plus des entreprises associatives. Prenons-en acte et travaillons à une bonne intelligence socio-économique entre les "nouveaux entrepreneurs sociaux" et les historiques associatifs. Pour l’essentiel ils ont, ou auront, les mêmes problèmes à régler : piloter des projets qui aient du sens, trouver des cadres compétents, rendre des services de qualité au meilleur coût, trouver des fonds propres... J’en ajoute un qui semble de plus en plus essentiel : renforcer les liens avec les citoyens dans des mécanismes de co-construction. Cela vaudra pour les anciens et les modernes. La finance participative le montre mais plus largement l’économie collaborative. L’épargnant, le consommateur, l’habitant, l’exclu... veulent et doivent être acteurs.
Enfin, dernier enjeu qui intéresse particulièrement le Labo de l’ESS : les trois strates historiques constituent une biodiversité positive : l’économie sociale avec ses statuts et sa puissance économique, l’économie solidaire avec sa solidarité en actes et son ancrage territorial, l’entrepreneuriat social avec sa jeunesse, son esprit d’entreprise et son réalisme. Il y a la une force de transition considérable si elle fonctionne sous le signe de l’alliance et non celui de la posture de pouvoir.
A notre place, nous nous efforcerons en 2015 que cette diversité soit porteuse d’espérances et de transformation sociale, dans l’après 11 janvier, qui nécessitera des citoyens bienveillants et exigeants, debouts. Bonne année, entreprenante et civique.