Mesurer son impact : un atout pour les acteurs de l’ESS
En 2017, 41,3% des acteurs de l’ESS déclaraient mener des démarches d’évaluation de leur impact social et 27,5% envisageaient d’en mettre en place dans un futur proche d’après le baromètre de la mesure d’impact social de KPMG.
L’évaluation s’est développée ces dernières années dans le monde de l’ESS et nombreuses sont les structures qui souhaitent à la fois mesurer l’impact social de leurs actions et se servir de ces outils pour valoriser auprès de leurs partenaires (collectivités publiques, fondations…) les apports en termes économique, social et/ou environnemental de leur activité. Cependant, entreprendre des démarches d’évaluation est encore trop souvent perçu comme complexe et coûteux en ressources financières, humaines et temporelles.
Comment inciter les entreprises sociales à considérer la mesure d’impact comme un travail utile et bénéfique à leur activité ? Comment rendre cette mesure plus accessible ? Comment l’ESS peut-elle jouer un rôle de précurseur en proposant une approche systémique et renouvelée de l’exercice d’évaluation ? Le Labo de l’ESS propose à travers ce dossier thématique de partager une vision de la mesure d’impact renouvelée et simplifiée qui se veut au service de l’entité et de son activité.
Évaluer son impact : une opportunité pouvant se heurter à des appréhensions
Les structures de l’économie sociale et solidaire, qu’il s’agisse d’associations, fondations, coopératives ou mutuelles, ont parmi leurs principes communs l’objectif de création de valeur sociale.
La valeur créée par chaque entité est propre aux enjeux économiques, sociaux et/ou environnementaux de l’écosystème dans lequel elle se situe. Alors qu’il peut être aisé d’évaluer des impacts financiers tels que le chiffre d’affaire ou la rentabilité économique d’une entreprise, définir la valeur sociale générée par une association peut être un exercice bien plus complexe car il nécessite de prendre en considération le contexte propre à l’entité et à ses parties prenantes.
Par exemple, dans le cas d’une association d’aide au retour à l’emploi, évaluer quantitativement le nombre d’individus réinsérés dans le marché de l’emploi à la suite d’une période d’accompagnement ne représente pas de difficulté particulière. En revanche, deux individus ayant bénéficié d’un même accompagnement peuvent, selon leur parcours, leur personnalité, leur sensibilité, etc. exprimer un ressenti et des bénéfices différents, difficilement mesurables à l’aide d’indicateurs classiques.
La prise en compte de ces impacts est pourtant d’importance car elle donne à l’entité un indicateur pour améliorer les réponses apportées au public bénéficiaire.
La mise en place d’une mesure d’impact au sein d’une organisation peut ainsi être perçue comme une démarche complexe, car propre aux réalités de chaque entité et non pas soumise à un seul et même référentiel partagé1 qu’il s’agirait d’appliquer. Par ailleurs, la diversité des approches et méthodes d’évaluation standardisées (SROI, randomisation, enquête qualitative, évaluation multicritère etc.2), peut être un élément déroutant pour une entité ne sachant pas comment procéder ni quelle voie choisir.
La mesure d’impact reste également perçue comme un processus trop coûteux en ressources financières, humaines et temporelles pour être mise en place3 de façon systématique par les acteurs de l’ESS.
Ces différentes appréhensions couplées à des approches initiées souvent par défaut et mises en œuvre sur le court-terme, notamment pour répondre à des injonctions extérieures participent à faire de la mesure d’impact un exercice trop souvent subi et non valorisé par les entités. Apporter une vision renouvelée et simplifiée de l’évaluation est nécessaire pour démontrer qu’appréhendée pas à pas, la mesure d’impact est avant tout au service de l’entité et de ses bénéficiaires.
L’importance de changer de point de vue sur la mesure d’impact
Le baromètre 2017 de la mesure d’impact social4 révèle que l’exercice est une véritable plus-value pour les parties prenantes des structures répondantes, leur permettant de disposer d’une vision innovante de leur activité, de discours et modalités d’intervention auprès de leurs parties prenantes bénéficiaires. Elle offre la possibilité à l’entité de définir une stratégie d’action partagée et d’engager une réflexion continue permettant de réinterroger le projet associatif avec une volonté de constante amélioration.
C’est pourquoi il est important d’accompagner les acteurs de l’ESS dans l’évolution de leurs pratiques et par conséquent dans la mise en place des pratiques de cette vision renouvelée, afin d’en faire un support au pilotage stratégique et un moteur d’innovation sociale.
La nécessité d’une démarche de mesure d’impact est incontestable. Mais face à la multitude de méthodes et d’outils pouvant créer un sentiment de confusion, il semble aujourd’hui nécessaire de développer une approche plus pédagogique et structurante, faisant primer l’importance de la réflexion partagée et collective sur l’atteinte d’objectifs fixés.
Quelques pistes d’action pour une vision renouvelée
Si chaque structure doit adapter l’objet et la démarche d’évaluation à ses spécificités propres, la première phase de l’étude collective “ESS & Création de valeur” menée par l’Avise, la Fonda et le Labo de l’ESS présente plusieurs étapes fondamentales et communes à toute mesure d’impact5, permettant de cadrer la mise en place de la démarche : la définition des critères d’évaluation en fonction de l’objet du périmètre choisi, la collecte et l’analyse des données suite à l’élaboration des indicateurs et enfin la « délibération », permettant au(x) porteur(s) de projet et à ses (leurs) parties prenantes de s’approprier les résultats.
Pour aller au-delà des postulats de complexité cités plus haut et faciliter la construction d’une vision partagée de l’évaluation de l’impact social, la dernière phase de l’étude6 menée par l’Avise, la Fonda et le Labo de l’ESS a mis en exergue sept prérequis constituant un idéal-type du raisonnement à suivre au long de l’exercice d’évaluation d’impact. Chaque situation étant singulière, ces prérequis ne sont pas le seul et unique processus auquel avoir recours et peuvent être ajustés en fonction d’un ensemble de critères et paramètres propres à chaque entité. Le raisonnement progressif qu’il incite à suivre a pour objectif d’encourager les porteurs de projet et organisations de l’ESS à franchir le pas et considérer l’exercice de mesure d’impact comme utile et accessible.
Une vision renouvelée de la mesure d’impact implique une approche systémique, non pas centrée sur l’entité à instant donné, mais inscrite dans un écosystème territorial. Qu’ils soient directs ou indirects, les impacts des actions d’une entité ont nécessairement une incidence sur le territoire et son environnement qu’il convient d’analyser et d’évaluer, progressivement et sur un temps long. En réalisant plusieurs diagnostics territoriaux pendant une dizaine d’année, l’association Chantiers de Tramasset, qui a réinvesti un chantier naval en friche pour faire revivre l’activité de la charpente navale et créer un espace d’échanges, de formations et d’insertion, a largement contribué à nouer et entretenir des liens avec les différents acteurs d’un même territoire tout en améliorant la collaboration de ces acteurs.
Ces diagnostics et concertations avec les parties prenantes présentes au sein de l’écosystème territorial de l’association ont en effet permis à cette dernière d’inscrire ses actions et futures actions face aux besoins et apports de ses parties prenantes. Cette démarche globale lui a ainsi permis d’évaluer ses opportunités de création de valeur économique et sociale7.
Pour qu’elle soit collectivement portée et partagée, une démarche de mesure d’impact associe, au moment opportun, les parties prenantes contributrices et bénéficiaires de l’écosystème concerné. La capacité d’une entité à rassembler et co-construire sa démarche de mesure d’impact avec un ensemble de parties prenantes autour d’un projet est un élément central.
L’anticipation de la démarche de mesure d’impact et son acculturation auprès de l’ensemble des parties prenantes sont essentielles pour que l’exercice soit effectivement bénéfique et instructif au projet, à la structure, et aux parties prenantes directement ou indirectement impliquées. Dès lors, prévoir un cadre d’évaluation dès le démarrage d’une activité ou projet permet de se positionner dans l’anticipation de l’exercice et dans l’apprentissage d’une culture commune et pérenne de la mesure d’impact.
Pensée et co-construite, dès le démarrage du projet, comme une démarche servant avant tout l’organisation et l’utilité de ses projets, la mesure d’impact social prend en compte l’ensemble des effets positifs et négatifs des actions de l’organisation. Cette posture lui permet en effet, ainsi qu’aux parties prenantes, d’ajuster en conséquence les actions mises en œuvre et de disposer d’une visibilité accrue sur les effets positifs à maximiser.
Ces temps d’acculturation mais aussi de préparation et de co-construction progressive et répétée d’une démarche d’évaluation impliquent sa nécessaire inscription dans le temps. L’association Aux captifs la libération, qui rencontre et accompagne des personnes de la rue vient par exemple d’engager une démarche de mesure d’impact8 inscrite sur trois ans, avec une première phase de test des indicateurs choisis, avant de procéder à leur mise en application.
Enfin, la démarche de mesure d’impact peut renforcer le pouvoir de négociation de l’organisation qui y recourt et décuple d’autant plus la mise en œuvre d’actions créatrices de valeur. L’exercice d’évaluation permet à l’entité et à ses parties prenantes d’améliorer continuellement la connaissance des enjeux et problématiques territoriales ainsi que les effets effectifs des actions et projets engagés. Fort de ces enseignements et données sur son écosystème et son potentiel à innovation sociale, le collectif engagé dans la mesure de son impact est le premier acteur et maître d’œuvre de cette démarche. Cette position dote le collectif de confiance et d’arguments solides face à ses partenaires et ses financeurs parties prenantes, mais également pour la création de nouvelles relations partenariales.
L’évaluation peut dès lors devenir un outil d’affectation optimale des fonds car elle devient un indicateur précis des opportunités de création de valeur.
La mesure d’impact, ainsi co-construite comme une démarche soutenant le développement stratégique permet non seulement de piloter de manière efficiente un projet mais également de créer et consolider les relations avec, et entre les parties prenantes impliquées. Elle constitue également une aide à la négociation et peut être source de création de valeur.
A l’heure d’une transition économique, écologique et sociale timide et oscillante, il est urgent de revoir et redéfinir les concepts de “valeur” et les principes de “mesure d’impact” en découlant. Les acteurs et organisation de l’ESS doivent se rassembler et se saisir collectivement du sujet afin de porter et développer d’une voix commune d’autres manières de faire ; d’autres voies à la prise en compte de leurs impacts que l’unique report d’indicateurs et résultats quantitatifs.
Tel est le message à lire en filigrane de l’étude collective menée par l’Avise, la Fonda et le Labo de l’ESS. La mise en application du “New Deal de la création de valeur et de la mesure d’impact” dévoile les apports, solutions et innovations sociales générés par les acteurs de l’ESS, face aux besoins de leurs écosystèmes territoriaux. La démarche itérative et pédagogique présentée au long de l’étude “ESS & Création de valeur” est une invitation, à travers les différents idéaux-type de mesure d’impact renouvelée proposés, à sa mise en application collective et généralisée et à la prise de confiance de la part des acteurs de l’ESS.
La démarche d’évaluation étant avant tout un exercice structurant, dans lequel le voyage opéré avec l’ensemble de ses parties prenantes est tout aussi important que le résultat obtenu. Elle est un marqueur des avancées réalisées, des erreurs commises et des progrès à renforcer ; pour réinterroger continuellement le projet associatif et/ou coopératif en lien avec le projet politique de son écosystème.
Rédaction : Camille Sultra, Marie Morvan, Sophie Bordères
Pour aller plus loin :
- 1 Evaluer l’impact social d’une entreprise sociale : points de repère, par Emeline Stievenart et Anne-Claire Pache.
- 2Cartographie des principales méthodes d’évaluation de l’impact social de l’Avise - https://www.avise.org/articles/les-principales-methodes-devaluation
- 356,2% des personnes n’ayant pas mis en place de mesure d’impact ne l’ont pas fait pour des problématiques de coûts, Baromètre de l’impact social KPMG, février 2017
- 4Baromètre 2017 de la mesure d’impact social, KPMG, https://assets.kpmg/content/dam/kpmg/fr/pdf/2017/02/fr-barometre-mesure-impact-social.pdf
- 5Avise, La Fonda et Le labo de l’ESS, Étude « ESS et Création de valeur », Rapport n°1, décembre 2017, p13-17
- 6Avise, La Fonda et Le labo de l’ESS, Etude « ESS et Création de valeur », Rapport n°3, juin 2019
- 7Avise, La Fonda et Le labo de l’ESS, Etude « ESS et Création de valeur », Rapport n°3, juin 2019, p 17
- 8Aux captifs la libération : mesurer la relation aux autres, Le Labo de l’ESS, septembre 2019, http://www.lelabo-ess.org/aux-captifs-la-liberation-mesurer-la-relation-aux.html