HopHopFood : la lutte 2.0 contre le gaspillage alimentaire par et pour les citoyen.ne.s
Avec une plateforme numérique, lancée en 2018, qui met en lien les voisins partout en France tout en leur permettant de donner et récupérer facilement de la nourriture et le lancement de garde-manger solidaires dans l’est parisien, l’association HopHopFood lutte, en même temps, contre le gaspillage et la précarité alimentaires – avec un principe fort : laisser les citoyens/consommateurs s’organiser et agir.
Gaspillage et précarité alimentaires
HopHopFood a été fondée en s’appuyant sur un constat simple, mais grave : d’un côté, 9 millions de personnes en France sont en situation de précarité alimentaire (en constante augmentation) ; de l’autre, en moyenne 13 kgs par personne de produits alimentaires non périmés et non ouverts sont jetés chaque année en France– et trois fois plus à Paris ! Michel Montagu, co-fondateur et président d’HopHopFood, ajoute : « Selon le Plan déchets parisien adopté fin 2017, l’un des seuls postes de déchets qui augmente, c’est l’alimentaire ! » En cause : l’évolution de nos modes de vie, les déplacements professionnels et de loisir, le fait de n’avoir pas de proches familiaux avec qui partager les denrées, l’achat de trop grandes quantités, la périssabilité des aliments non-traités auxquels nous ne sommes plus habitués…
Toujours est-il que HopHopFood est convaincu que les citoyens peuvent s’organiser entre eux, non seulement pour optimiser les quantités de nourritures des uns et des autres, mais aussi pour créer du lien social à l’échelle du quartier. Le premier projet porté par l’association est une application accessible sur smartphone et sur ordinateur. « On pourrait, explique Michel Montagu, se dire que les personnes en précarité alimentaire subissent aussi la fracture numérique et n’ont pas de smartphone, d’ordinateur ou d’accès à internet. C’est vrai pour un certain nombre de personnes – mais il y a aussi des gens qui passent totalement sous le radar des dispositifs d’aide alimentaire et qui ont accès au numérique. Un exemple : les étudiant.e.s ont un téléphone, mais peu de moyens. Surtout, même les plus précaires n’identifient pas forcément leurs propres précarités alimentaires : ils se sentent privilégiés. Les structures d’aide alimentaire aux étudiants le disent aussi : elles ont du mal à repérer ces étudiants qui ne mangent pas à leur faim, ils ne viennent pas solliciter leur soutien, ni celui des Restos du Cœur par exemple. » Selon la DGCS en Ile-de-France 28% des étudiants sont en précarité alimentaire et selon un récent sondage Ipsos-Secours Populaire 46 % des jeunes Français (15-25 ans) le sont également. Le numérique permet donc aussi de toucher des publics nouveaux dans la lutte contre la précarité alimentaire.
Le numérique pour moins de gaspillage et plus de solidarité alimentaires
L’application a été lancée mi-juillet 2018 ; trois mois plus tard, 7 000 personnes en sont utilisatrices, partout en France. « Nous avons été surpris : nous pensions que cela allait marcher essentiellement à Paris, mais aujourd’hui nous avons des utilisateurs dans des centaines de communes, explique Michel Montagu. Les médias ont donné de la visibilité à l’application partout en France. » La création d’un compte est très simple. HopHopFood a fait le choix de demander très peu d’informations obligatoires, pour faciliter l’accès à la plateforme. « Surtout, on ne s’inscrit pas dans une catégorie : donner ou récupérer. C’est très important à nos yeux, car les personnes peuvent faire les deux. Et c’est ce qu’on observe de facto. » 80% des inscriptions commencent par une demande de récupération alimentaire ; mais après avoir récupéré trois fois des aliments, en moyenne, les personnes inscrites se mettent elles-mêmes à donner.
En pratique, tout aliment est le bienvenu s’il n’est pas entamé ou périmé. Seuls la viande, le poisson, les crustacés et les œufs ne peuvent être donnés, pour des raisons sanitaires. Dès qu’un aliment est mis en don en ligne, l’application envoie une notification aux utilisateurs à proximité : ceux-ci peuvent alors faire part de leur intérêt et convenir d’un rendez-vous via le chat. A l’issue du don, le donateur et le bénéficiaire évaluent l’échange. Pour créer encore plus de confiance au sein de la communauté, les utilisateurs acquièrent des statuts selon leur assiduité : citron, citron d’argent, citron d’or et citron de diamant.
« Ne pas faire à la place des autres mais donner les moyens d’agir »
HopHopFood est un acteur particulier de la lutte contre le gaspillage alimentaire : plutôt que de se placer comme intermédiaire entre des producteurs-distributeurs qui gaspillent et les consommateurs, l’association fait le pari du « temps des citoyens » et de l’auto-organisation des particuliers : pour Michel Montagu, « il faut donner les outils aux citoyens, sans nécessairement mettre une structure entre eux. »
Ainsi, le lancement en fin d’année 2018 d’un projet pilote de 16 garde-mangers solidaires dans l’Est de Paris (11ème, 12ème et 20ème arrondissements, financés par les fondations Akuo et Le Goût du Partage, et Bio c’Bon) se fait directement avec l’engagement des citoyens : des « anges gardiens » bénévoles ont vocation à venir régulièrement prendre soin du garde-manger de leur quartier, qui se trouvera dans un lieu public (comme cinq magasins Bio c’ Bon qui ont déjà accepté d’accueillir le dispositif). Ils viendront rejoindre l’équipe d’HopHopFood, composée de trois co-fondateurs, une quinzaine de bénévoles et des volontaires en service civique.
L’aspect inclusif du travail de HopHopFood ne s’arrête pas là ; la co-construction en fait partie intégrante. Avant le lancement de l’application, un double partenariat a été noué : avec des étudiant.e.s de la Ville de Sceaux, pour les aspects techniques, ergonomiques et de communication ; avec des personnes hébergées par la Fondation de l’Armée du Salut au Palais de la Femme, à Paris, et qui se sont constituées en groupe de travail pour tester et améliorer l’application. « Cela a permis de faire évoluer la version bêta. Il y avait des choses auxquelles nous n’avions pas pensé : par exemple, créer une catégorie « aliments pour bébés ». Ou encore : les problèmes de langue pour échanger sur le chat. Ainsi, un premier message envoyé par défaut sur le chat a été intégré, de manière à ce que la prise de contact ne soit pas plus difficile pour une personne qui a des difficultés en français », raconte Michel Montagu. Et de conclure : « Nous ne faisons jamais à la place des personnes ; mais nous créons, ensemble, les conditions pour que chacun et chacune puisse agir. » C’est aussi comme cela que se crée le lien social : rencontrer ses voisins, pouvoir discuter et se faire confiance.
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