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Publié le 7 décembre 2017
Communication ESS
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Une communication sociale et solidaire, c’est possible !

Une partie des structures de l’économie sociale et solidaire ne se saisit que peu des enjeux de communication : par manque de temps et de ressources pour les plus petites et les plus jeunes, sans doute, mais aussi parce que la notion de communication et ses déclinaisons opérationnelles semblent poser question, voire être problématiques et créer un conflit avec les démarches et les valeurs sociales et solidaires. Tour d’horizon des enjeux et des réponses qui peuvent y être apportées.

Communication : mais de quoi parle-t-on ?

Le premier reproche qui peut être fait, de façon plus ou moins explicite, aux activités de communication dans le monde des structures de l’ESS est qu’elles relèveraient de pratiques opposées aux principes sociaux et solidaires. Communication, marketing, ciblage : autant de "gros mots" utilisés par les entreprises capitalistes et qui de ce fait seraient dangereux à adopter pour les structures de l’ESS, sous peine d’y perdre leur particularité. Il est intéressant de remarquer qu’aucune étude de grande ampleur n’a examiné ce phénomène : ce sont les expériences communes qui tendent à montrer une telle récurrence. Le Manuel de communication à l’usage des entrepreneurs sociaux et associatifs1 se fonde sur le constat que "mettre trop en avant ses actions est fréquemment vécu comme un renoncement – au moins partiel – aux valeurs propres à l’ESS". De même, une étude de terrain qualitative menée auprès d’acteurs de l’ESS en Ile-de-France2 constate que ceux-ci se rejoignent dans un certain discours : "La communication est une spécialité de l’économie classique et à ce titre elle inquiète un peu : [...] ce serait une intrusion d’un procédé du libéralisme."

Paradoxalement, c’est pourtant bien de communication qu’il est question dans l’idée même d’intérêt général et d’intérêt collectif : dès lors qu’il s’agit de créer les possibilités de se rassembler, de créer et de gérer ensemble, de militer en faveur de changements sociaux ou environnementaux, ou même de proposer des biens et services à destination de certains publics, plus ou moins spécifiques, on parle bien de communication. Les structures de l’ESS sont, d’entrée de jeu, inscrites dans une logique d’information et de sensibilisation aux valeurs qu’elles portent et aux solutions qu’elles apportent.

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La communication peut acquérir ses lettres de noblesse dès lors qu’elle n’est pas comprise comme une coquille vide servant à simplement saturer les canaux et à influencer les comportements sans prise de conscience de la part des "publics". Et elle concourt ainsi à la stratégie d’ensemble de la structure. Gabrielle Mirbeau, responsable de communication dans un cabinet comptable de l’ESS, explique : "Communiquer, cela commence par la communication inter-personnelle : c’est cela qui va permettre de construire un projet comme le nôtre avec toutes les parties prenantes et assurer que le processus s’inscrive dans le temps, avec confiance." Avant de se décliner en flyers, sites web ou réseaux sociaux, la communication est, au sens propre, ce qui permet de communiquer au sein de la structure et entre la structure et les partenaires et parties prenantes : elle structure l’inter-connaissance, la médiation, la co-construction et les liens partenariaux. Si les messages peuvent être déclinés selon la place de l’interlocuteur dans ses liens avec la structure, cela ne signifie pas qu’ils cherchent à mentir ou occulter, mais bien plutôt à donner l’entière information dont a besoin chaque partie prenante. Comme dans tout processus relationnel social et solidaire, c’est la transparence et l’équité qui feront la qualité du lien.

Les valeurs, est-ce "vendeur" ?

Dès lors que sont levés les doutes quant à la probité de la communication en tant que telle, demeure la question centrale des structures sociales et solidaires, construites autour de valeurs fortes qui structurent l’ensemble de leur stratégie : comment en parler ? Ces difficultés sont directement liées au cœur de métier de chaque structure et aux préjugés qui y sont attachés. Par exemple, Franck Carlu, directeur d’une structure de l’insertion par l’activité économique (SIAE), témoigne de la nécessité de ne pas toujours insister sur l’aspect social de l’insertion auprès de ses interlocuteurs qui, lorsqu’ils ne sont pas sensibilisés à ces enjeux, sont susceptibles d’y attacher des a priori négatifs et de craindre pour le professionnalisme de la structure. Autre exemple : comment parler des enjeux environnementaux centraux d’une structure, sans que ces valeurs ne créent un sentiment de culpabilisation auprès de publics peu "écolos" et donc un rejet ? Afficher ses valeurs fondatrices pourraient ainsi apparaître comme un frein à leur diffusion !

Face à ce paradoxe, le Manuel de communication recommande, en plus d’établir très clairement les valeurs fondatrices de sa structure en interne, de savoir où l’on désire poser son "curseur valeurs". La question ainsi posée est : "Les valeurs sont centrales au cœur de votre projet, mais doivent-elles automatiquement être centrales dans votre message de communication ?" Le curseur permet d’ajuster le positionnement de la communication vis-à-vis des valeurs fondatrices en fonction des supports et de leurs destinataires – sans rien retirer des valeurs qui portent le travail quotidien de la structure.

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Les structures de l’ESS semblent également avoir de plus en plus conscience de la portée positive de ces valeurs, notamment depuis qu’elles sont utilisées à tort par des projets qui ne sont ni sociaux, ni solidaires, ni environnementaux mais qui s’en réclament (phénomènes appelés "greenwashing" et "socialwashing".) Les valeurs de démocratie partagée, de respect des personnes et de l’environnement, d’inclusion, etc. ont le vent en poupe : les acteurs de l’ESS doivent vaincre leur timidité à en parler et, en s’appuyant sur les preuves de leur travail de terrain, montrer que ces valeurs permettent de créer des solutions réelles aux besoins sociaux et environnementaux.

C’est ainsi que leur communication peut prendre une place centrale dans le changement sociétal. Au point d’ajuster toujours au plus juste leurs valeurs et leurs actions, grâce à l’attention portée par les publics à ces valeurs. Par exemple, le responsable de communication d’une entreprise de commerce équitable rapporte que "les consommateurs nous challengent sur tout. [...] On a créé une pâte à tartiner aussi bonne que le Nutella, mais naturelle et responsable, avec des ingrédients bio, garantis sans OGM, dont le cacao et le sucre (de canne) sont achetés aux conditions du commerce équitable aux producteurs et dont on compense toutes les émissions en CO2. Des consommateurs nous ont accrochés sur le fait que le Nutella n’est pas un modèle nutritionnel ! On n’a jamais fini de progresser !"3 Preuve que, loin d’être des freins, les valeurs peuvent être le ferment d’une exigence partagée et d’un dialogue constructif...

Valeurs de ma structure et valeurs de l’ESS : comment se nourrir l’un de l’autre

A l’échelle de chaque acteur, la communication concerne d’abord l’information, l’image et la notoriété de sa propre association, coopérative, mutuelle, fondation, entreprise. Ce sont les idées défendues et les solutions créées par chaque structure qui seront d’abord transcrites dans la stratégie de communication. Mais ces particularités ne font pas disparaître les points communs de l’économie sociale et solidaire, sur lesquels les acteurs n’hésitent pas à s’appuyer grâce à sa notoriété grandissante. L’exemple de la SIAE cité plus haut est éclairant : son directeur explique qu’avec un interlocuteur qui ne s’intéresse pas à l’insertion, "[il] préfère parler d’économie sociale et solidaire. La notion d’ESS est de plus en plus connue et elle permet de parler de [la] mission [de son association] de replacer l’humain au cœur de l’action, sans parler directement d’insertion."

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Mais les acteurs ne se contentent pas de s’appuyer sur les grands principes de l’ESS pour justifier leur action : de façon complémentaire, ils nourrissent l’ESS de pratiques concrètes qui font vivre ces valeurs au quotidien. Au sein du cabinet comptable de l’ESS évoqué, l’enjeu est aussi de promouvoir la gouvernance démocratique et la co-construction auprès des structures accompagnées : pour cela, la pédagogie repose beaucoup sur la preuve par l’exemple. Et cet exemple est la structuration du cabinet lui-même en SCIC, permettant aux parties prenantes d’intégrer la gouvernance pour "donner envie" de développer ces modèles.

L’économie sociale et solidaire a tout intérêt à s’appuyer ainsi sur les expériences réussies qui se développent partout, pour démontrer par la preuve que ses valeurs sont désirables.

 

  • 1Manuel de communication à l’usage des entrepreneurs sociaux et associatifs, Charline Corbel, Amélie Ducorney, Nadège Meurisse, Rue de l’échiquier, 2017
  • 2Les enjeux de la communication de l’économie solidaire en Ile-de-France, Cyrille Terrier, Communication, Vol. 29/1, 2011
  • 3Cité dans Les métiers de la communication, Christine Aubree, L’Etudiant, 2011
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