Sharelex, se réapproprier son droit
L’économie collaborative voit éclore de nombreuses initiatives prometteuses. Ce sont celles qui questionnent nos habitudes et remodèlent la place du citoyen dans la société. Sharelex participe à ce mouvement de renouveau et revoit le lien brisé entre les citoyens et la loi. Car si nul n’est sensé l’ignorer, la réalité se situe aux antipodes. Entretien avec la fondatrice Anne-Laure Brun Buisson.
Sharelex, la naissance d’un projet
Sharelex naît d’un douloureux constat que fait l’avocate Anne-Laure Brun Buisson. Le droit est devenu un mal nécessaire et non plus un outil pour de nombreux entrepreneurs et usagers qui se perdent dans les méandres d’une science particulière qui nécessite ses porteurs de blouse. Le citoyen lambda est vite désemparé. On note en conséquence un non-accès croissant au droit, lui-même étant victime de sa propre complexité, de l’inaccessibilité de ses experts et de leurs honoraires.
Sharelex a pour ambition de refermer ce canyon. Anne-Laure Brun Buisson sent que ce manque à combler est palpable dans le domaine de l’Economie Sociale et Solidaire et de l’innovation sociale. Les acteurs de cette économie dynamique et novatrice se heurtent fréquemment au flou voire au vide juridique, le droit ayant souvent un wagon de retard. Il leur faut tamiser cette matière complexe, que ce soit pour le choix des statuts ou pour délimiter un domaine d’activité transversal, comme le financement participatif. Cela peut être formateur mais si la démarche reste individuelle, c’est une perte de temps, d’énergie, un frein à l’innovation.
D’un côté, Anne-Laure remarque qu’en explorant les différentes galeries de la mine législative, les acteurs développent parfois des approches et interprétations astucieuses. D’un autre côté, certains professionnels du droit tentent de se spécialiser dans des domaines inexplorés en revoyant leurs méthodes.
La méthode du partage
Sharelex créé des espaces de partage entre deux parties : professionnels du droit et acteurs. Ces rencontres sont organisées sous formes de tables rondes thématiques, par exemple sur la question de l’économie collaborative. Elles permettent aux intéressés de s’approprier leur domaine juridique, aux experts d’apporter leurs connaissances et aux deux de co-construire un travail prospectif qui a vocation à être démocratisé. Ce lieu d’intelligence collective promeut la contribution la plus large pour mutualiser les compétences de chacun. Tout le monde est bénéficiaire. Le but est de garantir l’accès à ces bases juridiques nécessaires pour démarrer une activité grâce à un "guide des minimas". Ces connaissances sont un bien commun qui ne peut souffrir d’être verrouillé par une propriété individuelle ou intellectuelle.
Sharelex créé de nouvelles communautés autour d’enjeux juridiques. Les personnes peuvent ouvrir des chantiers spécifiques en en faisant la demande sur le site. Ils acceptent au passage une charte qui comprend l’utilisation sous licences libres pour garantir cette forme d’accès. Cette démarche participative assure une veille des innovations socio-économiques. Déjà des groupes de travail s’attèlent à défricher de nouveaux champs : monnaies sociales, données personnelles, open science et open access, marques collectives, économie collaborative, habitat partagé.
Sharelex n’est pas la seule structure à vouloir favoriser la démocratisation du droit. Cependant, sa méthode est novatrice et se différencie des points d’accès au droit (PAD) par exemple. Ces derniers sont des permanences juridiques spécialisées tenus par des avocats, des associations, des délégués du médiateur de la République, etc. Ils apportent une information de proximité aux personnes ne pouvant avoir recours à des services juridiques payants.
Contrairement à cela, Sharelex ne se situe pas dans une relation d’assistance mais dans un rapport horizontal où l’expertise et l’expérience ont la même valeur. L’association s’inscrit dans une dynamique d’accès à la connaissance et d’outillage pour impulser l’autonomisation des acteurs.
Pragmatisme
Sharelex est un projet utilitaire et pragmatique. Selon Anne-Laure Brun Buisson, nous disposons déjà d’un grand nombre d’outils juridiques pour pouvoir développer des activités innovantes. Dans le cadre de l’économie collaborative ou de la finance participative, les interrogations ne manquent pas. Peut-on se prêter de l’argent entre particuliers et sous quelles conditions ? Comment optimiser les échanges de services entre individus ? Comment favoriser des dynamiques de co-production ? Un certain libéralisme français et le système souple de contrat permet aux personnes de négocier des termes très variés, ce qui est une chance pour les innovations sociales et les nouvelles formes de participation et de collaboration.