Hugues Sibille
Rencontres nationales des PTCE 2024 : intervention de Hugues Sibille, Président du Labo de l'ESS
Mesdames Messieurs les présidents de têtes de réseau, responsables de PTCE, élus, directeurs d’administration,
Chers amis de l’ESS,
J’interviens à l’ouverture de cette Rencontre comme président du Labo de l’ESS, mais je le fais aussi en lien étroit avec les cinq réseaux qui forment le collectif ambition PTCE : le COORACE, ESS France, le RTES pour lequel Christiane Bouchard va intervenir, le MES et bien sûr le Labo.
Ici, pendant ces deux jours, ce qui va primer, c’est le mot coopération.
À ce sujet, ayons tous en tête ce matin que l’année 2025 a été décrétée par l’ONU Année internationale des coopératives et de la coopération. Ce n’est pas rien. Les PTCE devraient se rattacher à cette large dynamique coopérative universelle.
Ces premiers mots me conduisent à vous dire que j’interviens aussi ce matin comme ami de Claude Alphandéry qui a joué, comme bon nombre d’entre vous le savent, un rôle important dans l’émergence et la reconnaissance des PTCE. Nous avons vis-à-vis de lui, qui nous a tant inspirés, un devoir de mémoire mais aussi un devoir d’avenir. L’esprit de résistance créatrice et coopérative de Claude, son dernier message nous demandant d’agir comme si nous ne pouvions pas échouer, peut et doit nous inspirer dans le contexte si difficile qui est le nôtre.
Claude, lieutenant-colonel des FFI, chef des maquis de la Drôme, interlocuteur de Jean Moulin, a été un grand résistant décoré par le général de Gaulle à la Libération. Cela l’inspirera toute sa vie et inspirera ses engagements dans l’ESS. Nous avons des leçons à tirer aujourd’hui encore de cette époque. Imaginez, mesdames messieurs, l’émotion qui était la sienne quand il est revenu dans la Drôme pour participer au lancement de l’un des premiers PTCE, celui d’Archer. Christophe Chevallier et moi en gardons un vif souvenir. Pour Claude, les PTCE naissaient avec un esprit de résistance au déclin, à la résignation, au chacun pour soi, avec un esprit de coopération des forces vives de la société civile. Il avait appris sur le terrain à faire travailler ensemble des réseaux de résistants souvent divisés. Claude avait inscrit son soutien à l’émergence des premiers PTCE dans la dynamique des Cahiers d’Espérance et des États généraux de l’ESS qu’il avait impulsés. Il s’agissait d’inventer des solutions concrètes à partir des territoires. Le Labo de l’ESS a poursuivi les intuitions de Claude dès 2009 par une « recherche-action » avec les réseaux de l’ESS débouchant sur la reconnaissance des PTCE dans la Loi de 2014.
Mesdames, Messieurs, dix ans après le vote de la Loi, et quatre ans après le rapport « Relancer les PTCE » en 2020, on peut dire que les PTCE connaissent un véritable engouement. On est passés d’une soixantaine de dynamiques de territoires à 205 recensées aujourd’hui. L’ensemble des offres d’animation du dispositif rencontrent un franc succès : les visites apprenantes affichent complet, les rencontres régionales PTCE mobilisent presque tous les PTCE sur leur territoire, les offres de communauté apprenante et d’accompagnement sont largement mobilisées.
Cet engouement est aussi le résultat d’une politique coconstruite depuis 2014 et qui progresse grâce à cela.
Ce matin, nous avons une responsabilité collective à poursuivre cet esprit de co-construction, d’accompagnement, d’efficacité dans un contexte de grandes difficultés politiques et budgétaires françaises. Les PTCE dans les temps qui viennent doivent se serrer les coudes. Cet « esprit PTCE » s’inscrit dans une Charte qui affirme des principes et des valeurs qui fondent et définissent la spécificité des PTCE. Ainsi les PTCE de la Loi de 2014 appartiennent résolument à l’ESS et diffèrent de ce fait de tiers lieux ou d’autres initiatives. Faisons vivre cette Charte. Les PTCE émergents ont besoin du soutien des PTCE plus mûrs. Tous les PTCE ont besoin du soutien des collectivités locales. Et l’ensemble de l’écosystème des PTCE a besoin d’un engagement constant, durable, lisible de l’État. De ce point de vue, des lieux comme la CNA et la Commission Territoires du CSESS sont des espaces à ne pas négliger.
Parce que la réussite des PTCE repose sur un écosystèmes, je remercie ici les acteurs de cet écosystème, ceux qui ont permis cette Rencontre nationale et soutiennent les PTCE.
Merci d’abord aux PTCE et à leurs partenaires d’être venus en nombre, 300 inscrits et 150 PTCE présents.
Merci aux collectivités qui constituent les premiers soutiens des PTCE sur les territoires : les communes, les EPCI, les Régions et parfois les départements.
Merci aux services de l’État qui suivent au quotidien les PTCE, en particulier la direction du trésor et le Bureau BESSii.
Merci enfin à celles et ceux qui animent la politique de soutien nationale et régionale des PTCE, aux membres des CRA et de la CNA qui font vivre cette politique de manière coopérative. Les temps qui sont devant nous vont être très durs. Au démarrage de cette Rencontre, il nous faut réaffirmer la volonté de maintenir, conforter, appuyer cet écosystème sans lequel rien n’est possible.
En effet, force est de constater que le contexte rend pour partie incertain la pérennité de nos actions aux différents échelons. Le débat budgétaire, le devenir des politiques publiques nationales sont sources d’incertitude et donc d’inquiétude. Pour les acteurs présents, l’enjeu de pérenniser ce qui fonctionne, les services d’animation et d’accompagnement, co-portés dans le cadre d’une politique nationale cohérente et continue est essentiel. Je me permets ici une notation. Le soutien public aux PTCE est le plus souvent considéré uniquement sous l’angle de la subvention. Il faut aussi le regarder comme un investissement avec retour sur investissement. De ce point de vue, il me semble regrettable que les PTCE et plus largement la coopération territoriale ne figurent pas mieux dans les programmes de type France 2030 ou ne bénéficient pas de dispositif de type Crédit Impôt Recherche.
En effet Mesdames Messieurs, les besoins exprimés par les PTCE dans toutes les enquêtes portent d’abord sur le financement de l’animation territoriale et sur la confortation des modèles économiques. Il est vrai que dans un contexte de difficultés de l’argent public, nous devons nous mettre autour de la table pour faire preuve d’innovation dans les modalités de financement et dans les modalités juridiques. J’ai, pour ce qui me concerne, la conviction que nous ne sommes pas allés au bout de ce que peuvent apporter les SCIC, les Fondations territoriales et d’autres outils juridiques, au financement des coopérations territoriales.
Ce besoin de changer nos approches, de tenir compte des mutations, doit conduire à soutenir les innovations pas seulement technologiques mais aussi les innovations d’organisation et les innovations sociales. Les enjeux de transition écologique et d’adaptation aux crises vont générer des besoins considérables de coopération territoriale. Prenons l’exemple des territoires espagnols frappés par des inondations qui nous ont tant choquées. Comment reconstruire, relancer, rénover, redynamiser ces territoires autrement que par des dynamiques de coopération entre acteurs privés, d’ESS et publics ? Il faut accepter d’investir dans la R&D territoriale comme un investissement d’avenir. Nous le disons depuis bien longtemps, souvent sans être entendus.
Dans le contexte actuel très contraint, il nous faut savoir inventer ou renforcer des logiques d’alliance sur les enjeux de coopération territoriale.
Cela vaut d’abord pour les PTCE eux-mêmes qui devraient à l’avenir être davantage capables de porter tous ensemble et de manière concertée leurs propres ambitions et leur propre stratégie de reconnaissance.
Cela vaut pour les grands acteurs de l’ESS que sont les Mutuelles de santé et d’assurance et les Banques coopératives.
Cela vaut des TPE et PME. Nous tous qui sommes ici, nous croyons fondamentalement à la synergie entre économie sociale et économie de proximité. La Direction des entreprises (DGE) estime le nombre de patrons de TPE et de PME qui vont partir en retraite entre 250 000 et 700 000 dans les 10 ans à venir : voilà un formidable enjeu de coopération territoriale.
Ce besoin d’alliance vaut aussi pour la dimension interministérielle parce que les PTCE conjuguent des approches locales avec des approches de filières. Comment réussir un PTCE qui travaille sur l’alimentation durable sans le ministère de l’agriculture, sur la mobilité durable sans le ministère des transports ou sur la rénovation thermique sans le ministère de la transition écologique ? Ceci vaut évidemment pour les agences d’État comme l’ADEME ou l’ANCT et les banques publiques comme la CDC ou la BPI.
Terminons avec la dimension européenne. Je salue la présence de Patrick Klein, de la DG Grow de la Commission, lors de ces rencontres. Il porte ces sujets à Bruxelles dans la durée avec beaucoup de conviction et beaucoup de compétence. Un grand merci cher Patrick.
Nous PTCE français devons nous intéresser à ce que font les autres en Europe en matière de coopération territoriale. La Commission a regroupé ces expériences derrière le nom de Clusters d’innovation sociale et écologique. Mais nous devons aussi mieux valoriser dans les autres pays nos propres expériences qui sont souvent regardées avec intérêt.
Pour ces raisons, il est souhaitable que la coopération territoriale figure en bonne place dans la Stratégie française d’ESS que la France devra déposer à Bruxelles en 2025.
Et pourquoi pas - rêvons un peu, le rêve fait du bien - pourquoi ne pas imaginer que l’an prochain, cette rencontre nationale devienne une rencontre européenne ?
Le Labo de l’ESS et le collectif Ambition PTCE souhaitent pleine réussite à cette rencontre nationale et continueront à œuvrer pour la réussite de la coopération territoriale.
Claude Alphandéry nous a transmis un esprit de résistance et nous nous battrons donc ensemble comme si nous ne pouvions pas échouer.
Discours d’Hugues Sibille, Président du Labo de l’ESS
Le 5 décembre 2024, à l’ouverture des rencontres nationales des PTCE