Penser et agir dans le clair-obscur d’où peuvent surgir des monstres

La France démocratique, fondée sur le socle « liberté, égalité, fraternité » vacille. Le premier mot sur toutes les lèvres après les élections européennes, a été « sidération ». On voyait venir l’orage, on ne l’anticipait pas si proche et si violent. On n’imaginait pas le capitaine renvoyer un équipage, lui-même sidéré, en pleine tempête. Mais très vite, quoi après la sidération ? Que penser, que dire, que faire lorsqu’on s’appelle le Labo de l’ESS dans cette angoissante tourmente ? Écrire un édito dans ce clair-obscur ne doit pas être un exercice de style convenu, une langue de bois de ceux qui toujours sauraient.

Avant de repartir, admettons d’être un peu déboussolés. Regardons les étoiles, cherchons notre Nord ! Une première question à affronter est donc : comment retrouver ensemble une boussole, puis un cap, puis la capacité à le tenir ?

Ma boussole, comme président du Labo de l’ESS, est de repartir des fondations de notre maison : nous sommes le think-tank de l’ESS et nous avons été créés par Claude Alphandéry. Claude, qui nous a quittés en mars, fut extraordinairement lucide sur la catastrophe annoncée, plus inquiet de la tempête qu’il voyait venir que de sa propre mort, nous appelant « à prendre l’engagement de tout faire partout où vous êtes, avec les moyens qui sont les vôtres, pour empêcher une nouvelle nuit noire de l’humanité… et d’agir comme si vous ne pouviez échouer »¹. Le Labo de l’ESS inscrira donc ses pas dans ceux de la résistance créatrice, de la société civile engagée, de la coopération territoriale que nous laisse le résistant Claude Alphandéry avec l’esprit de persévérance qu’il nous a transmis.

« Résister dans les pas de Claude Alphandéry » : discours d’Hugues Sibille au Congrès ESS France du 12 juin 2024

Nous ne sommes ni une organisation représentative de l’ESS, ni une organisation politique. Nous sommes là, nous serons là, pour aider, avec modestie mais détermination, les acteurs de l’ESS et avec eux les citoyens, à penser et à agir pour sortir du clair-obscur, en coproduisant une boussole et en tenant ensemble un cap.

Le Labo de l’ESS affirme d’abord que la société civile organisée, par sa capacité de résistance et de propositions, sera une clé déterminante de sortie de crise et de refus des monstres menaçants. Elle doit se rassembler et se faire entendre le plus possible dans la cohérence. Dans un premier temps pour faire un barrage résolu à l’extrême droite lors des législatives, parce que l’extrême droite a montré partout dans le monde qu’elle est hostile à la société civile organisée, et surtout libre !

Dans un second temps pour co-construire les solutions qui fassent reculer le désarroi ou la peur ou la souffrance de 40% de la population. C’est pourquoi Le Labo de l’ESS fait totalement sienne la déclaration du Congrès de l’ESS du 13 juin 2024, la diffuse et invite à la diffuser massivement. C’est pourquoi le Labo de l’ESS travaille activement à soutenir le Pacte du Pouvoir de vivre dans ses initiatives de résistance et de proposition de transformation écologique et sociale. C’est pourquoi il soutient les initiatives concrètes du reseau constitué autour de l’opération Milliard ou du Collectif pour la Transition Citoyenne. Le Labo de l’ESS soutiendra les initiatives de rapprochement et de résistance commune de cette société civile organisée portant un projet fondé sur l’humanisme, la démocratie, le respect du vivant, c’est à dire de « l’autre » et de la planète.

Le Labo de l’ESS affirme ensuite, dans le sillage du récent congrès de l’ESS, la nécessité de repolitiser l’ESS dans le sens de dire et de montrer son apport à la Cité en transformation profonde. L’ESS doit faire sa propre transition, se réinterroger sur son excès de réalisme depuis deux décennies, sur sa capacité à se faire entendre des décideurs politiques, y compris parfois par des rapports de force. Notre think-tank vient de renouveler sa gouvernance grâce à la mobilisation d’hommes et de femmes engagés. Cette équipe prend en compte cet impératif dans l’optique d’une transition écologique juste.

Le Labo de l’ESS, dans la tourmente démocratique et politique actuelle, doit comme toute l’ESS, balayer devant sa porte en regardant la carte des résultats électoraux. Savons nous écouter ? Savons nous sortir de l’entre-soi ? Avons-nous lu attentivement les cahiers de doléances et réagi lorsqu’ils ont été mis à la poubelle de l’Histoire ? Savons-nous pratiquer une éducation populaire qui développe le pouvoir d’agir de cette population qui se sent écartée et méprisée ? Avons-nous tiré les enseignements des conventions citoyennes réussies comme méthodes de ré-enchantement d’une démocratie proche des gens ? Avons-nous recherché sur ces territoires qui se vivent comme abandonnés, toutes les solutions de rapprochements entre les services publics et les services d’utilité sociale de l’ESS ?

Comme think-tank, nous nous efforcerons de travailler ces sujets dans l’avenir en nous mettant aussi en cause.

Barrer la victoire de l’idéologie du bouc émissaire, de la haine de l’autre, du mépris de l’état de droit et des libertés publiques, cela fait partie des gènes de l’économie sociale et solidaire, sinon elle n’aurait pas de raison d’être.

Agissons d’abord comme si nous ne pouvions pas échouer à empêcher une défaite de l’humanité dans le pays des droits de l’Homme le 30 juin et le 7 juillet. Agissons ensuite pour déconstruire les causes du recul de l’humanisme et reconstruire un projet convaincant de mieux vivre ensemble et avec une nature préservée.

Et tenons-nous prêts, s’il le fallait, à résister au pire sur les territoires par des alliances entre l’ESS et les collectivités publiques attachées à la république et à la démocratie.

Le Labo de l’ESS, avec une gouvernance renouvelée et rajeunie, un projet refondé, une équipe salariée engagée, fera toute sa part.

Hugues Sibille

Président du Labo de l’ESS

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