François Soulage
Pauvreté et inclusion bancaire : de l’idée au Manifeste
Dégradation du marché du travail, budgets familiaux extrêmement contraints, accès au logement et à l’énergie plus difficile… la pauvreté se fait plus durable, les inégalités explosent et l’exclusion sociale se durcit.
Cette exclusion sociale est amplifiée par diverses formes d’exclusions : sur l’accès à l’emploi, au logement, aux soins… mais aussi dans un registre qui pourrait paraître moins essentiel, moins fondamental : l’exclusion bancaire et financière. Dans notre société française, qui depuis quelques décennies, n’a cessé de se financiariser, cette exclusion est réelle.
Conséquence de l’exclusion sociale, l’exclusion bancaire en est trop souvent aussi la cause
Surendettement, malendettement, mauvaise utilisation et mauvais fonctionnement du compte bancaire… ces phénomènes sont nombreux. Ils traduisent des problèmes d’accès, mais par-dessus tout ils sont le témoin de difficultés d’usage et d’un usage mal adapté aux besoins.
L’exclusion bancaire fragilise davantage les publics précaires. Elle touche également les ménages issus des classes moyennes qui, de plus en plus, se trouvent dans une situation de malendettement et voient souvent leur situation se dégrader à la suite d’un accident de la vie ou tout simplement du fait de la fragilisation de leurs situations financières. Face à ces risques de rupture, une prise de conscience est indispensable, d’abord collective mais aussi au regard de la responsabilité de chacun des acteurs - qu’ils soient bancaires, publics, associatifs -, à l’aune d’une citoyenneté effective.
C’est à cette prise de conscience, à cette responsabilité sociétale, à cette recherche d’une citoyenneté pleine et dynamique qu’appelle le Manifeste pour l’inclusion bancaire en France des populations fragiles ou en voie de fragilisation. C’est à cet effort et à cette mission collective d’intérêt général qu’appelle le Secours Catholique, ayant associé à sa démarche la Croix Rouge française et l’Union Nationale des Centres Communaux d’Action Sociale (UNCAS).
Du manifeste pour l’inclusion bancaire à l’engagement des groupes bancaires, de l’Etat et des pouvoirs publics
Il faut encourager les établissements bancaires et financiers à faire le choix de l’accessibilité et de l’inclusion bancaire des populations fragiles ou fragilisées. Il faut beaucoup de conviction pour que les banques fassent ce choix de l’inclusion bancaire, face à la puissance du marché, à sa main invisible et dans un contexte de véritable désavantage concurrentiel : temps passé, normes financières mondiales (Bâle 2, Bâle 3…)… tout cela n’est guère incitatif. Et pourtant, des groupes bancaires, des établissements font déjà ce choix d’une inclusion bancaire plus effective, plus personnalisée, plus anticipatrice… plus humaine.
La bonne volonté ou une meilleure approche de la RSE, ne suffira pas. L’Etat et les pouvoirs publics ont leur responsabilité en la matière. Qu’ils l’assument en soutenant, en portant, en s’appropriant cette démarche d’incitation et de régulation ! Notre Manifeste appelle à plus de transparence de l’information sur les pratiques bancaires, les publics et territoires servis par les banques, grâce à une évaluation quantitative et qualitative. Il préconise un système de certification de ces pratiques d’inclusion bancaire, qui aura un effet de réputation ; celle-ci peut aussi avoir un effet de retour sur investissement, pour les banques les mieux certifiées, lors d’appels d’offres publics. Ce Manifeste s’inscrit dans une démarche participative, négociée, réfléchie, en co-construction.
Il est nécessaire – et on l’a vu tout au long des travaux du Groupe "inclusion bancaire et lutte contre le surendettement", préparatoire à la Conférence nationale, que j’ai eu l’honneur de présider – d’échanger en transversalité et de mieux identifier les problématiques posées, les avancées déjà acquises (et elles ne sont pas minces) mais aussi de mieux identifier les populations fragiles ou en voie de fragilisation elles-mêmes. Il est indispensable de renforcer des pratiques d’accompagnement, de conseil, d’éducation financière et budgétaire, de mise en place de procédures d’alerte et d’analyse de l’effectivité des mesures adoptées.
Le principe de co-construction est essentiel
La co-construction est une exigence, une conviction et, en quelque sorte, une mécanique : il faut dépasser les temps d’inertie, créer de la dynamique, rendre possible les rapports de force constructifs. Plusieurs Groupes bancaires ne s’y sont pas trompés en faisant savoir le soutien qu’ils apportent au Manifeste et, au-delà, en participant à sa mise en place.
C’est en ce sens que les auteurs du Manifeste ont appelé, le 22 octobre dernier, les acteurs associatifs et sociaux à se mobiliser, à s’approprier et à soutenir leurs préconisations. C’est aussi le message que nous porterons tous ensemble les 10 et 11 décembre prochains lors de la Conférence nationale destinée à dessiner le Plan quinquennal de lutte contre la pauvreté.
Aujourd’hui, nous sommes dans une phase de réflexion, de propositions et de négociation. Puissent ces phases être les plus constructives, les plus abouties possibles, faute de quoi s’imposeraient alors des dispositions relevant du pouvoir réglementaire. Notre société ne peut passer à côté de la réelle richesse que représentent, pour elles-mêmes et pour les questions qu’elles soulèvent, les personnes en précarité. Richesse que notre société a le devoir de valoriser.