
Mutualiser pour co-construire la transition écologique juste
Nadine Richez-Battesti, économiste (AMU et LEST-CNRS), animatrice du comité de pilotage de l’axe de travail « Changer le modèle économique », propose ici une vision renouvelée et positive de la mutualisation, comme façon d’organiser en commun et solidairement des trajectoires de sobriété. Une réflexion que prolonge Pascal Michard, Président d’Aéma Groupe.
Cette note, disponible au format PDF ici, inaugure la réflexion animée tout au long de l’année 2025 dans le dossier « Quelles mutualisations face aux défis écologiques et sociaux du XXIe siècle ? »

Face à l’incertitude radicale à laquelle nous sommes confrontés, comment trouver les moyens d’agir et transformer simultanément nos imaginaires et nos pratiques vers plus de sobriété tout en préservant les solidarités ? Comment faire du défi de la transition écologique juste une formidable opportunité de revisiter le vivre-ensemble en réencastrant les organisations et les échanges économiques dans la société ?
La coopération a souvent été identifiée comme un levier potentiel de transformation des pratiques, peinant toutefois à se déployer pleinement face à un idéal concurrentiel dominant[1]. Coopérations inter-organisationnelles et gouvernances multi-parties prenantes, coopérations territoriales à travers les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) et autres clusters[2], en sont autant de formes marquantes ces dernières années. Elles ont largement été portées par des acteurs de l’ESS.
On s’est moins intéressé aux dynamiques de mutualisation, pourtant historiquement motrices d’émancipation. On peut y voir deux raisons principales. D’une part, elles sont souvent dominées par une conception de la mutualisation comme action subie, au service d’une logique de rationalisation des coûts. D’autre part, ces dynamiques de mutualisation apparaissent enfermées dans une approche financière de la gestion des risques au sein de secteurs particuliers : protection sociale, assurance et banque. Ce double a priori cantonne la mutualisation dans une acception à la fois réductive et défensive (voire négative), empêchant de l’appréhender comme outil de stratégies offensives et volontaristes de transformation sociale.
Outre le fait de réhabiliter une conception solidaire et réciprocitaire de la mutualisation, nous considérons que coopération et mutualisation sont des stratégies complémentaires. Leur combinaison trouve une modernité renouvelée dans le contexte de l’anthropocène, marqué par une amplification des risques et la nécessité de reconstruire du commun, du vivre-ensemble.
En 1986, Ulrich Beck[3] pointait déjà le développement d’une société du risque et les promesses non tenues de la modernité où progrès et richesses sont à l’origine de menaces et dangers accentuant la montée de l’individualisme et du repli sur soi. Il préconisait de promouvoir un processus de démocratisation des décisions relatives aux politiques scientifiques, technologiques et économiques au lieu de confier les choix décisifs aux scientifiques et aux entrepreneurs. Dans cette société du risque, dont l’intensité n’a cessé de croître, la mutualisation retrouve tout son sens. Et nombre d’observateurs récents ne s’y trompent pas[4]. Comme le rappelle Alain Supiot[5], la mutualisation ne se limite pas à une technique financière : elle est une liberté collective, reconnue dans le droit, qui permet aux individus de s’auto-organiser selon des principes de libre-adhésion, de réciprocité et de solidarité, en particulier pour faire face à des risques[6].
En ce sens, la mutualisation est tout d’abord un levier du vivre-ensemble dans un temps long, un levier pour affronter en commun les transitions et relever le défi de co-construire une transition écologique juste. Elle est un contre-mouvement à l’individualisation et redonne du sens à une démocratie par le bas.
La mutualisation exprime aussi le choix volontariste d’une certaine sobriété dans la consommation et l’usage des ressources, dans un contexte de reconnaissance des limites planétaires et de nécessaire attention portée au vivant. Elle suppose de s’interroger et débattre sur nos priorités et les manières d’y répondre en commun et d’assumer de nécessaires renoncements[7].
La mutualisation repose enfin sur des interactions et des alliances renforcées entre les personnes, qui prennent sens dans des logiques de proximité et qui favorisent un ancrage dans les territoires comme autant d’initiatives nourricières.
Comment dès lors ne pas voir dans l’attelage coopération-mutualisation les sources de modèles socio-économiques renouvelés fondant une trajectoire alternative pour construire des transitions choisies ? Autrement dit : une formidable opportunité de renouveler nos imaginaires et de bifurquer.
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La réflexion portée par Nadine Richez-Battesti rappelle avec force que la mutualisation est au cœur des transformations économiques et sociales nécessaires pour relever les défis de notre époque. Longtemps cantonnée à une approche gestionnaire, elle retrouve aujourd’hui toute sa pertinence comme levier de résilience et d’émancipation collective.
Aéma Groupe s’inscrit pleinement dans cette dynamique. Nous sommes convaincus que la mutualisation ne doit pas être subie mais revendiquée comme un choix stratégique et politique au service du bien commun. Notre modèle mutualiste incarne cette approche, en construisant des solidarités concrètes et durables, ancrées dans les territoires et au plus près des besoins des citoyens.
Face aux crises climatiques et sociales, notre responsabilité est de proposer des solutions qui conjuguent sécurité et équité, innovation et sobriété. Mutualiser, c’est faire le pari de l’intelligence collective, c’est reconnaître que l’action en commun permet de dépasser les logiques concurrentielles pour bâtir des réponses systémiques et inclusives.
Dans ce cadre, notre partenariat avec le Labo de l’ESS est un levier essentiel pour approfondir cette réflexion et identifier des trajectoires d’action partagées. Nous devons porter ensemble une vision renouvelée de la mutualisation, qui ne se réduise pas à un instrument de gestion des risques mais qui soit pleinement un moteur de transformation sociale. C’est cette ambition que nous poursuivrons avec l’ensemble des acteurs engagés, afin que la coopération et la mutualisation s’affirment comme les piliers d’un nouveau contrat social et économique.
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Cette note est l’une des publications constituant le dossier « Quelles mutualisations face aux défis écologiques et sociaux du XXIe siècle ? », alimenté tout au long de l’année 2025 par les travaux menés sur cette thématique, en partenariat avec Aéma Groupe.

Notes de bas de page :
[1] Voir notamment les travaux du Labo de l’ESS sur les coopérations territoriales
[2] Voir les travaux du Labo de l’ESS sur les PTCE. À l’échelle européenne, voir le rapport du groupe d’experts sur l’économie sociale et les entreprises sociales (GECES) sur les Pôles d’innovation sociale et écologique dans l’Union européenne, perspectives et expériences (2021).
[3] Beck, U. (2001). La Société du risque : sur la voie d’une autre modernité. Aubier.
[4] Voir notamment : Duverger, T., Germain, T., & Gonord, A. (2025). Pour de futures mutualisations. Le Bord de l’eau. Voir également les 9e Assises de la Coopération et du Mutualisme qui se sont tenues en février 2025 sur le thème : « Coopération et mutualisme : la solidarité face aux ruptures ».
[5] Supiot, A. (2016). Mutualisation : de quoi parlons-nous ? In Recueil Dalloz.
[6] C’est cette conception de la mutualisation qui a présidé à création et la reconnaissance juridique d’institutions telles que les sociétés de secours mutuel, ancêtres de la mutualité que nous connaissons aujourd’hui.
[7] Bonnet, E., Landivar, D., & Monnin, A. (2021). Héritage et fermeture : une écologie du démantèlement. Éditions Divergences.