Hugues Sibille
Mouvements citoyens et ESS
Bonne nouvelle ! Les citoyens (re)prennent partout de la voix. Pas seulement la nuit : le jour aussi ! Dos au mur des défaillances du système politique et de la crise démocratique, le citoyen tente de faire un come back dans l’espace public. Après avoir intégré une culture de l’impossibilité politique (l’économie financiarisée ayant dévoré l’espérance) il retrouve peu à peu ce qu’Olivier Py, directeur du Festival d’Avignon, appelle joliment "l’amour des possibles". Un autre monde, nécessaire et redevenu possible dans les têtes, les citoyens entendent maintenant s’en occuper eux mêmes. Bonne nouvelle car rien de pire pour la démocratie qu’une société civile apathique et soumise.
De nombreux signes attestent d’une résurgence citoyenne.
Les Nuits Debout très relayées par les médias témoignent d’un désir de parole et d’engagement. Mais les lendemains de ces Nuits, où le verbe libéré coule à flots, restent bien incertains.
Moins médiatiques, mais plus construits, plusieurs mouvements attestent de ce renouveau : Alternatiba, le Pouvoir Citoyen, le Pacte civique, la Transition citoyenne, etc. Sans oublier le Manifeste du convivialisme porté avec talent par notre ami Alain Caillé.
A côté de cette irruption citoyenne, l’Economie sociale et solidaire pleine de vitalité, de projets et d’innovations, est en recherche d’un changement d’échelle. Jamais elle n’a été aussi reconnue et porteuse de potentiels.
Je dis à côté car le renouveau citoyen et la vitalité de l’ESS, s’ils se pratiquent ici ou là, ont encore peu noué de liens stratégiques.
Les mouvements citoyens se polarisent, au principal, sur le refus, la résistance, ou la convergence de luttes tournées vers les politiques publiques, contre ceux d’en haut. Ils s’intéressent modérément à la citoyenneté économique du réel qu’incarne l’ESS.
L’ESS, de son côté porte jusqu’ici un intérêt limité aux mouvements citoyens, considérés pour l’essentiel comme investis dans un champ politique loin de "l’entreprendre autrement".
Pourtant ces deux courants auraient intérêt à débattre davantage, à chercher des convergences. Chacun pourrait y gagner. Le pays aussi.
Les mouvements citoyens ont besoin de débouchés concrets à leur prise de parole. Politiques certes mais aussi économiques. Comment faire système, sortir du fragmentaire ? Des "y a qu’à" ne suffiront pas à inventer une nouvelle économie, moins inégale, plus démocratique. L’ESS est un réservoir de pratiques inspirantes.
L’ESS de son côté manque d’une mobilisation citoyenne qui la porte mieux dans l’espace public. Elle juxtapose ses initiatives et fragmente ses acteurs, ce qui ne facilite pas la lisibilité d’un Récit mobilisateur. Elle doit aussi ré-interroger en profondeur son rapport à une démocratie économique réelle. L’irruption citoyenne montre qu’il ne suffit plus d’afficher sur les frontons "une personne, une voix" pour être entendu. La démocratie doit réinventer ses pratiques, y compris dans l’ESS.
Aussi, le Labo s’efforcera d’être un agent de rapprochement entre les réseaux citoyens et les réseaux de l’ESS.
Ces alliances pourraient se concrétiser sur deux terrains : le territoire et les biens communs.
Le territoire car il est le niveau immédiat où s’articulent la résistance et la fabrication d’alternatives. Une résistance citoyenne au nucléaire (dont le désengagement est reporté aux calendes grecques) sera d’autant plus convaincante que se constitue une transition citoyenne significativement productrice d’énergies renouvelables et décentralisées. Des coopératives locales vertes, vite !
Les biens communs, car ils se définissent comme une appropriation, un usage et une exploitation collectifs. Ils supposent donc que des citoyens et un ensemble d’acteurs, dont l’ESS, s’accordent sur les conditions d’accès à la ressource et la préservent. Une gouvernance communautaire, une non appropriation des richesses créés, une culture de l’open source pourraient être des terrains fertiles de partenariat entre réseaux citoyens et courants de l’ESS.
Jouons la confluence de ces deux rivières : citoyennes et ESS.
Pourrait en sortir un fleuve tranquille mais puissant.