Hugues Sibille
La voie de l’innovation sociale
L’innovation sociale devient peu à peu un enjeu du débat public.
Ces dernières décennies nos sociétés ont investi massivement dans l’innovation technologique, car la concurrence internationale portait de plus en plus sur la capacité à inventer de nouveaux produits (pas toujours utiles), ou des process de production plus compétitifs. Les sommes investies par les entreprises, avec l’appui massif des pouvoirs publics, sont pharaoniques. Enfin les dispositifs de soutien sont sophistiqués et nombreux : pôles de compétitivité, incubateurs, clusters, aides Oseo, crédit impôt recherche, Programme d’Investissement d’Avenir.
Dans le même temps nos sociétés peinent à apporter des réponses à des besoins sociaux prioritaires, comme la santé, le logement, l’alimentation saine, l’éducation, le vieillissement des populations, ... et à permettre à chacun d’acquérir une autonomie économique par le travail.
Un rééquilibrage s’impose et l’heure de l’innovation sociale a sonné, pour plusieurs raisons :
- la prise de conscience que les mécanismes de marché tournés vers la lucrativité ne parviennent pas à eux seuls à satisfaire les besoins sociaux de base ou émergents. Les évolutions démographiques, telles que le vieillissement des populations en Europe, génèrent de nouveaux besoins massifs de services et nous obligent à repenser les modèles économiques et d’organisation. Les mutations technologiques accroissent des inégalités sociales qui se creusent, dans l’accès à la téléphonie, au numérique, aux énergies nouvelles.
- les politiques sociales redistributives du welfare state, les services publics et leurs modalités de production et de distribution élaborées à l’heure des 30 glorieuses, avant la mondialisation, ne correspondent plus aujourd’hui. La mise en question de ces politiques sociales redistributives, amorcée depuis plusieurs années, est amplifiée à l’extrême par la crise des finances publiques. Les Conseils Généraux sont les plus sous contraintes avec le RSA, l’APA, et l’ensemble de leurs budgets sociaux. Nombreux sont au bord de la cessation de paiement. Quant à l’Etat il pare au plus pressé sous la pression des agences de notation.
- les solutions assistantielles et uniformes ne fonctionnent plus. Les enjeux sont individualisés et territorialisés. Les politiques descendantes et octroyées sont périmées. Les citoyens et usagers du service veulent et doivent être "acteurs" pour que ces politiques fonctionnent. En conséquence la société civile est beaucoup plus active que par le passé pour inventer des solutions nouvelles, des solidarités actives, des financements solidaires, de nouvelles formes de conjugaison de l’économique et du social. Ce foisonnement d’initiatives est porteur d’innovations mais peine à atteindre sa vraie grandeur. Nous sommes au milieu du gué où se croisent les anciennes représentations et méthodes du social redistributif et celui de nouveaux modèles de développement. Oui, l’heure de l’innovation sociale a sonné ! Pas seulement en France mais à l’échelle européenne, région du globe sous contrainte aujourd’hui. La Communication de la Commission en date du 25 Octobre 2011 en témoigne. Continuer comme avant, c’est aller dans le mur. Le Rapport récemment élaboré par le Conseil Supérieur de l’Economie sociale expose les principaux enjeux de la mutation et dégage des propositions. Il donne la définition suivante : "L’innovation sociale consiste à élaborer des réponses nouvelles à des besoins sociaux nouveaux ou mal satisfaits dans les conditions actuelles du marché et des politiques sociales en impliquant la participation et la coopération des acteurs concernés, notamment les utilisateurs et les usagers. Ces innovations concernent aussi bien le produit ou le service que le mode de production, de distribution, d’organisation."
Les propositions peuvent être regroupées autour des axes suivants :
- Reconnaitre politiquement l’innovation sociale (par la loi) dans une vision élargie, touchant aux enjeux organisationnels et citoyens. Dans le prolongement de cette reconnaissance, sensibiliser et former à l’innovation sociale les acteurs publics et privés, investir dans la construction et la distribution de boites à outils, favoriser les diagnostics et l’accompagnement des projets socialement innovants. Il s’agit de conduire un processus de changement culturel pour rapprocher les différentes communautés de l’innovation.
- Se doter d’une définition de l’IS et de critères permettant aux financeurs, publics et/ou privés de repérer les projets et les financer. Une grille de 20 critères a été proposée autour de 4 : besoin social mal satisfait, expérimentation et prise de risques, implication des acteurs concernés, mesure d’impact des effets positifs directs et en coûts évités.
- Mettre en place de nouveaux outils de financement de l’innovation sociale. Par exemple par l’expérimentation d’une aide Oseo Innovation Sociale en partenariat avec la Caisse des dépôts et les Régions et une clarification du recours au Crédit Impôt Recherche (CIR). Il s’agit au-delà de ces deux mesures de passer en grand à une logique d’investisseur dans l’innovation sociale (différente de la logique de subventionneur) et d’inventer des Partenariats-Publics-Privés de financement de l’innovation sociale. Ainsi la Fondation Macif, exclusivement dédiée à l’innovation sociale, travaille-t-elle actuellement sur trois axes : la mobilité, l’alimentation, le logement.
- Mettre en place des écosystèmes régionaux favorables à l’innovation sociale. Les Conseils Régionaux ont un rôle essentiel à jouer. Ils ont déjà largement démarré comme en témoignent Languedoc-Roussillon, Ile de France, Franche Comté et d’autres. Il s’agit de faire pénétrer l’IS dans les Stratégies régionales d’innovation (SRI) et les agences régionales d’innovation, de doter les territoires d’outils d’incubation, d’accompagnement, de partenariat avec les universités comparables à ce qui existe avec l’innovation technologique et en synergie avec elle. L’approche de l’innovation sociale n’est pas "en réaction" à l’innovation technologique mais en cohérence positive.
Au total, l’innovation sociale, implique une remise en cause de nos façons de penser l’articulation entre l’économique et le social. On devrait d’ailleurs parler d’innovation socio-économique, car ces innovations doivent conjuguer modèle économique et utilité sociale. Le fil rouge en est que l’usager ne soit plus seulement un "public" mais bien un "acteur" au cœur des solutions.
Pour autant, la promotion de l’innovation sociale ne doit pas conduire à la considérer comme une solution miracle, un mot qu’il suffirait de prononcer pour tout régler. Ce mot traduit un processus de changement, une transition vers de nouveaux modèles, de production, de distribution, de consommation.