Tribune
Publié le 26 septembre 2019
Hélène L’Huillier

Hélène L’Huillier

Consultante chez KiMSO

L’évaluation d’impact de demain : inspirons-nous du colibri plutôt que du paon

L’évaluation d’impact social dans l’ESS fait face à un risque : celui de la course à la méthode la plus innovante. Mais la méthode n’est qu’un moyen, et son choix doit être l’aboutissement d’une réflexion sur ce qui compte vraiment, dans une optique collective et systémique.

«  Ça ne sert qu’aux financeurs  », «  c’est pour nous fliquer », « c’est trop compliqué », « c’est de la communication », « ça réduit notre action à des chiffres, au détriment de l’humain » … Nous le voyons dans les formations et sensibilisations que nous animons avec de nombreux acteurs du secteur : dans l’ESS, le mot évaluation fait peur. Il renvoie à une logique de contrôle, de performance et de quantification.

Ces craintes sont parfois exagérées, mais on ne peut nier qu’elles sont liées à des dérives réelles observées au cours de la dernière décennie. L’évaluation de l’impact social s’est beaucoup répandue en France, et des porosités sont apparues entre des approches historiquement plutôt associées à 3 champs distincts : monde associatif, politiques publiques et responsabilité sociétale de l’entreprise.

  • L’approche émanant du monde associatif s’appuie sur les sciences sociales, s’intéresse à l’impact comme contribution à l’intérêt général et considère l’évaluation comme un acte nécessairement normatif, qui reflète une certaine vision du monde. C’est par exemple l’approche retenue par le projet VISES, qui s’appuie sur une démarche participative pour construire des indicateurs partagés sur le territoire, en mobilisant des méthodes mixtes.
  • L’approche issue des politiques publiques s’appuie plutôt sur des méthodes économiques et statistiques, elle considère l’impact comme la mise en évidence d’une relation de causalité entre un dispositif spécifique et des indicateurs de résultats simples ; elle est fortement marquée par un souci de quantification, d’objectivité, de neutralité, et un rapport au chiffre dépolitisé. Les expérimentations aléatoires portées par le J-Pal incarnent par exemple cette logique.
  • L’approche issue de l’entreprise s’appuie sur des méthodes importées de la comptabilité et de la finance, elle appréhende l’impact à travers la question de l’équilibre entre les apports d’une activité et ses externalités négatives ; l’évaluation y est perçue comme un acte essentiellement technique. Le reporting extra-financier à partir de référentiels d’indicateurs comme la GRI en est un exemple.

Aujourd’hui, ces trois approches se retrouvent dans les pratiques d’évaluation d’impact social de l’ESS. La circulation des savoirs entre les champs a apporté une vraie richesse au secteur en diversifiant la batterie d’outils entre lesquels piocher, mais également des risques. Et le risque principal auquel l’évaluation d’impact social dans l’ESS fait face est celui de la course à la méthode la plus innovante ou la plus à la mode, au détriment de ce qui compte réellement.

La transformation des modèles de financement du secteur associatif et la demande croissante de « rendre des comptes » et d’innover que formulent les financeurs font peser une nouvelle forme de pression sur les associations. Celles-ci peuvent se sentir en concurrence, ce qui les amène à chercher avant toute chose dans l’évaluation d’impact des éléments communicants : par exemple, un ratio SROI pour montrer que le projet est plus « socialement rentable » que celui du voisin ; un Contrat à impact social pour mettre en avant le caractère innovant de la structure ; une liste à la Prévert d’indicateurs pour être sûrs de ne pas oublier celui qui va parler aux financeurs ; ou encore une expérimentation aléatoire « parce que c’est la meilleure méthode » .

Ces outils peuvent bien sûr être intéressants lorsque leur méthodologie, la démarche de mise en place et les valeurs qu’ils véhiculent ont bien été comprises. Il est toutefois important de se rappeler que la méthode n’est qu’un moyen et que son choix doit venir après une réflexion sur ce qui compte vraiment, ce à quoi la structure contribue. Parfois, le SROI sera la méthode la plus adaptée pour en rendre compte ; le plus souvent, des entretiens qualitatifs et/ou quelques indicateurs bien choisis seront bien plus pertinents.

Et se demander ce qui compte vraiment, ce n’est pas uniquement se centrer sur son action, mais c’est aussi réfléchir à la façon dont on contribue, durablement et avec d’autres, au bien commun. Une frontière existe toujours entre impact social, environnemental et territorial. Face à l’urgence des enjeux écologiques et politiques, il est prioritaire pour l’évaluation de demain de pouvoir mieux articuler ces sujets et de passer d’une réflexion individuelle fondée sur l’évaluation de projet à une réflexion collective et systémique intégrant les enjeux environnementaux. Pour cela, le partage d’expériences – en parlant aussi du négatif – entre acteurs du même champ et l’articulation de différents niveaux dans les démarches évaluatives peuvent aider à construire des éléments de plaidoyer commun au sein d’un secteur, d’un territoire.

Pour être au service des valeurs de l’ESS et contribuer au mieux à l’intérêt général, évitons de réduire l’évaluation d’impact social à une panoplie à déployer pour séduire tel un paon. Faisons plutôt en sorte, comme les colibris , qu’à travers cette démarche, chacun apporte sa part pour mieux contribuer au monde de demain.


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