Le saviez-vous
Publié le 2 juillet 2019
Alimentation durable
Mots clés
ESS, agriculture, alimentation, précarité alimentaire, solidarité, amap

L’ESS, un vecteur d’accès à une alimentation durable et de qualité pour tous

En 2018, le Labo de l’ESS dédiait sa ProspectivESS à l’agriculture et l’alimentation durables . Sous la forme de deux rencontres, un séminaire de travail et une rencontre ouverte au grand public, cette ProspectivESS a permis de dégager des pistes d’actions dont une prioritaire : l’accès à l’alimentation durable de qualité pour tous. Conscient de la nécessité de poursuivre et approfondir les premiers échanges engagés sur le sujet, le Labo de l’ESS a lancé en juin 2019 une étude-action intitulée « Agir contre la précarité alimentaire en favorisant l’accès pour tous à une alimentation de qualité ». Cette étude s’attachera à dessiner les enjeux et leviers de la mise en œuvre d’une réponse systémique et territoriale à l’inégalité d’accès à une alimentation de qualité. Quelles premières pistes pour répondre à ce véritable enjeu sociétal ? Quelles voies d’action pour l’ensemble des acteurs de la chaîne alimentaire ? Petit tour d’horizon de la manière dont l’ESS favorise l’accès à l’alimentation de qualité pour tous.

L’accès à une alimentation saine : un enjeu de société

Alors que les activités agricoles sont responsables de 36% des émissions de gaz à effet de serre, que l’utilisation des pesticides agricoles continue d’augmenter chaque année1, que la hausse de certaines maladies liées à la nutrition comme l’obésité et le diabète persiste, il n’est plus à démontrer la nécessité d’un réel changement de nos modes de production et d’alimentation. Or, ces transformations ne pourront se faire sans la prise en compte de multiples enjeux. Force est de constater qu’en 2016, 3,9 millions de français avaient accès à l’aide alimentaire chaque année2 et près de 30% des agriculteurs gagnaient moins de 350€ par mois3. Le pouvoir d’achat des familles en difficultés et la rémunération au juste prix des producteurs constitue ainsi un double défi économique majeur. Cette transition nécessite également d’intégrer une forte dimension environnementale en incitant à une évolution des pratiques agricoles, mais aussi à une meilleure sensibilisation de l’impact de notre alimentation, et ce dès le plus jeune âge. En touchant à la santé, mais aussi à la culture, à la tradition, à l’éducation, etc., l’alimentation constitue un véritable levier d’inclusion et de cohésion sociale pouvant bénéficier aux populations les plus précaires.

En France, les États-Généraux de l’Alimentation (EGA) qui se sont déroulés en 2017 ont mis ces problématiques au cœur de la réflexion et ont ouvert un chantier encore largement inachevé. Le Programme National pour l’Alimentation (PNA) qui définit la politique alimentaire, reconnaît également l’importance de ces enjeux puisqu’il a pour objectif l’accès pour tous à une « alimentation sûre, diversifiée, en quantité suffisante, de bonne qualité gustative et nutritionnelle » dans le cadre d’une agriculture durable4.

Face à ces observations, l’accès à une alimentation saine implique de relever au moins quatre grands défis de société : la transition écologique, la santé, la justice sociale et le défi économique.

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L’ESS pionnière de l’accès à l’alimentation de qualité pour tous

Si le système alimentaire mondialisé et la grande distribution ont procuré aux consommateurs une alimentation diversifiée et bon marché, cette industrialisation a également engendré des externalités négatives. Ainsi, un produit parcourt en moyenne 3000km avant d’arriver dans nos assiettes, 10 millions de tonnes d’aliments consommables sont jetés chaque année en France5, le nombre d’agriculteurs ne cesse de diminuer6 de pair avec les terres agricoles disponibles puisque l’équivalent d’un département disparaît tous les cinq ans.

Face aux dysfonctionnements et à l’essoufflement de nos systèmes de production et de consommation alimentaire, les agriculteurs, les consommateurs et la société civile dans son ensemble se sont organisés, en se basant sur les principes de l’économie sociale et solidaire, pour mettre en place d’autres modèles permettant de mieux produire et consommer à des prix raisonnables.

Il faut tout d’abord rappeler que l’économie sociale et solidaire est largement présente dans le milieu agricole et alimentaire puisque les coopératives ne manquent pas. Ainsi Biocoop, premier réseau de distribution bio en France est une coopérative et 3 agriculteurs sur 4 font partie d’une coopérative, le secteur coopératif agricole faisant travailler 165 000 agriculteurs.

Ce sont également des agriculteurs qui ont lancé au début des années 2000 la toute première Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne (Amap) dans le Var, pour conserver leur activité dans une région ayant perdu de nombreuses exploitations de petite taille7. Ces « Amap » permettent à des fermes paysannes de passer un contrat directement avec un groupe de citoyens locaux qui préfinancent leur production à l’année en échange de ladite production. Souvent bio et à la croisée entre juste rémunération du producteur, baisse du prix pour les consommateurs et circuits-courts, elles se sont petit à petit développées sur le territoire et organisées en réseau.

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D’autres formes de circuits-courts alimentaires se déploient aussi dans les territoires. On peut citer notamment la vente directe à la ferme, les boutiques paysannes tenues par des collectifs de producteurs locaux, les plateformes Internet, comme lecricuitcourt.fr qui permet aux Lillois de commander et payer en ligne des produits alimentaires locaux et de venir les chercher dans l’un des 22 "drives" du territoire. Il existe également des supermarchés coopératifs comme La Louve à Paris, Dionycoop à Saint-Denis ou La Cagette à Montpellier qui permettent à des citoyens de consommer des produits locaux à moindre coût moyennant d’aider bénévolement au fonctionnement du supermarché.

Prônant la mixité sociale et de nouvelles formes de solidarité (entre producteurs et consommateurs notamment) ces initiatives en circuits-courts séduisent car elles mettent en place des modes de consommation plus locaux et respectueux de l’environnement au cœur des préoccupations sociétales. Elles ont également permis de stimuler la consommation de fruits et légumes souvent bio à moindre coût et permettent in fine de reprendre le contrôle sur le contenu de son assiette. Seul bémol à ces dynamiques vertueuses, leurs consommateurs restent encore trop souvent issus de la classe moyenne.

L’ESS comme l’une des réponses possibles à la précarité alimentaire

Les banques alimentaires et associations caritatives telles que Les restos du cœur, Secours Catholique, Croix Rouge etc. permettent de pallier l’urgence en collectant des produits alimentaires pour distribuer des repas à des millions de personnes en situation précaire et sont présentes sur toute la France. Malheureusement, ces dispositifs d’aide alimentaire ne suffisent pas à garantir le droit à l’alimentation pour tous et montrent aujourd’hui leurs limites. Selon un rapport d’ATD Quart Monde8, de fortes tensions se cristallisent autour des dispositifs d’aide alimentaire, tant autour de la qualité et de la diversité des produits proposés (pour la plupart issus des surplus de l’agro-industrie) que par l’aspect stigmatisant du don alimentaire9.

C’est pour sortir de cet assistanat et proposer des produits variés et de qualité que se développent depuis une vingtaine d’années les épiceries solidaires. Rassemblées au sein de l’Association Nationale de Développement des Épiceries Solidaires (ANDES), ces épiceries, pensées comme des commerces de proximité classiques, permettent à un public en difficulté économique d’accéder à des denrées de qualité – notamment des produits frais, locaux et parfois bio - entre 10% à 30% de leur valeur marchande10.

Pour lutter contre la précarité alimentaire, d’autres acteurs de l’ESS ont choisi de se questionner sur les raisons pour lesquelles notre système agricole et alimentaire ne parvient pas à nourrir convenablement l’ensemble de la société. C’est le cas du réseau agricole Civam qui a lancé en 2015 un projet de recherche action intitulé ACCECIBLE. Celui-ci a pour but, non pas de réformer l’aide alimentaire mais d’aller au-delà en réfléchissant à la construction d’un « système alimentaire qui puisse permettre à tous d’accéder à une alimentation durable et de qualité ». Réunissant 18 partenaires dans différents secteurs tels que le développement agricole, l’action sociale, la recherche et l’enseignement, ce projet cherche à co-construire des solutions en remettant les agriculteurs et les bénéficiaires de l’aide alimentaire au cœur des décisions et de la conception des initiatives.

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Mettre les bénéficiaires au cœur de la conception des initiatives, c’est également ce qu’a réussi à faire VRAC en organisant de nombreuses dégustations au pied des immeubles dans les Quartiers Politiques de la Ville (QPV) de Lyon pour se mettre d’accord sur les produits et les prix avant de développer des groupements d’achats de produits locaux, en vrac et le plus souvent bio . De la même manière, de nombreuses autres innovations sociales démontrant la possibilité d’accéder à une alimentation saine et de qualité pour tous se développent aujourd’hui dans une idée de justice sociale. C’est le cas du Micromarché à Nantes qui implante des marchés de producteurs bio et locaux dans les QPV ou encore de l’expérimentation « Familles à alimentation positive » initiée par la Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique. Cette initiative permet d’aider des familles, souvent en situation précaire, à augmenter la part de leur alimentation bio sans impacter leur budget.

Les actions mises en œuvre par l’ensemble de ces initiatives sont indispensables pour permettre à tous d’accéder à une alimentation durable et de qualité. Cependant, nombre d’entre-elles font face à plusieurs freins et limites les empêchant d’élaborer des formes d’action plus transformatrices et qualitatives. Face à ces urgences, il est nécessaire de développer de nouvelles dynamiques à l’échelle du territoire et avec l’ensemble des acteurs concernés, des réponses systémiques à l’inégalité d’accès à une alimentation de qualité.

L’alimentation, un enjeu de coopération et un levier de revitalisation des territoires

Pour répondre à ces enjeux plus larges, plusieurs expérimentations et nouvelles formes de coopérations se mettent en place.

C’est le cas des Pôles Territoriaux de Coopération Économique (PTCE) qui permettent à un ensemble d’acteurs de terrain de s’associer autour d’un projet économique et ainsi recréer des filières, des emplois et revitaliser les territoires. Le PTCE Bou’Sol anime le réseau de boulangeries « Pain et Partage » et participe par exemple à la création de tout un écosystème innovant et solidaire inscrit dans la filière blé/farine/pain . Le PTCE Le Bol, basé à Lyon, a quant à lui vocation à susciter des projets locaux d’acteurs de l’ESS œuvrant dans le champ de l’alimentation, en organisant et en animant des temps de réflexion et d’échanges sur des problématiques concrètes.

Depuis 2014, la Loi d’avenir pour l’agriculture encourage de nouvelles formes de coopérations avec les Projets Alimentaire Territoriaux (PAT) qui ont pour objectif « de relocaliser l’agriculture et l’alimentation dans les territoires en soutenant l’installation d’agriculteurs, les circuits-courts ou les produits locaux dans les cantines11 » et ont également inscrit dans leurs enjeux la question de l’accessibilité à une alimentation de qualité. Ces projets sont co-construits avec l’ensemble des parties prenantes du territoire (pouvoirs publics, agriculteurs, associations, cantines scolaires, organismes de recherche, coopératives agricoles, etc.). Ils réalisent dans un premier temps un diagnostic concerté du territoire pour identifier par la suite les enjeux clés et les priorités permettant de donner un cadre stratégique et opérationnel à des actions partenariales répondant à des enjeux sociaux, environnementaux, économiques et de santé. Il existe aujourd’hui 150 PAT rassemblés au sein du Réseau national pour un projet alimentaire territorial (RnPAT) mais le gouvernement vise un objectif de 500 d’ici à 2020.

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Certains PAT, comme celui de la Communauté d’Agglomération du Douaisis (CAD), prennent la restauration collective comme point d’entrée, car elle touche aussi bien à la structuration des filières dans le territoire, à l’installation d’agriculteurs mais aussi à la qualité des produits avec l’obligation d’introduire 20% de produits bio et locaux d’ici à 2022. C’est également une question démocratique puisque le repas de midi est parfois le seul repas équilibré d’un enfant. Enfin, la restauration collective à l’avantage d’agir à la fois sur les enfants et sur leurs parents.

Ces nouvelles formes de coopérations à l’échelle des territoires permettent de faire travailler différents acteurs en mettant l’alimentation durable et de qualité pour tous au centre de plusieurs politiques publiques. S’il reste encore beaucoup à faire assurer un accès à tous à une alimentation durable et de qualité, c’est en plaçant la coopération et le territoire au cœur des réflexions et actions collectives que pourront se dessiner des solutions concrètes et durables.

Rédaction : Sophie Bordères
Photos : Unsplash & Adobe

Pour aller plus loin :

  • 1https://www.generations-futures.fr/actualites/ecophyto-nouveaux-chiffres/
  • 2 IFOP, 2016
  • 3http://www.civam.org/images/M%C3%A9lanie/AcceCible/PRESENTATION-Accessible.pdf
  • 4https://fr.wikipedia.org/wiki/Programme_national_pour_l%27alimentation#Objectifs_et_programmes_mis_en_%C5%93uvre
  • 5https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/06/07/le-gaspillage-alimentaire-en-france-en-chiffres_5311079_4355770.html
  • 6http://www.lefigaro.fr/flash-eco/toujours-moins-d-agriculteurs-en-france-20190128
  • 7http://www.reseau-amap.org/historique.php
  • 8https://www.atd-quartmonde.fr/wp-content/uploads/2016/07/Se-nourrir-lorsquon-est-pauvre.pdf
  • 9Journal Résolis #19 « Lutte contre la précarité alimentaire », janvier 2018
  • 10https://andes-france.com/nos-actions/les-epiceries-solidaires/qu-est-ce-qu-une-epicerie-solidaire
  • 11https://agriculture.gouv.fr/les-experts-alimagri-quest-ce-quun-projet-alimentaire-territorial
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    Tribune

    Pierrick De Ronne

    Pierrick De Ronne

    Président de la Coopérative Biocoop

    Soyons unis et fiers de porter l’ESS pour nous permettre de rêver à un autre monde … et le rendre possible. La bio de demain nous appartient.

    Le marché des produits bio dépasse les 8 milliards d’euros et suscite la convoitise des acteurs de la grande...
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