Philippe BIHOUIX
L’avenir des villes est-il voué à être toujours plus technologique ?
L’imaginaire dominant, imprégné de représentations futuristes, semble pencher en faveur de l’affirmative.
Pourtant, l’avènement de smart cities ultra-connectées et optimisées est loin de faire consensus, et porte, malgré les promesses officielles, son lot d’incertitudes sur les réels bénéfices socio-économiques et environnementaux à en attendre. Sidewalk Labs, société sœur de Google, a fini par jeter l’éponge, en 2020, sur le projet de quartier high-tech à Toronto, face aux craintes liées à l’utilisation des données personnelles. Quant à la 5G, dont le déploiement tout récent a suscité de nombreuses oppositions en France, elle peine à trouver les cas d’usage pour « adoucir » le bilan métabolique des métropoles : à date, le renchérissement technologique entraîne effet rebond et in fine consommation accrue de ressources et d’énergie.
De Metropolis à Blade Runner, la science-fiction s’est fait l’écho, depuis longtemps, des dystopies liées à la technologisation du monde. La ville high-tech n’est ni une évidence, ni une fatalité. D’autres trajectoires sont possibles et souhaitables, comme la ville (ou métropole) low-tech, c’est-à-dire une ville qui, sans rejeter en bloc la technologie et l’innovation technique, fait montre d’un plus grand « techno-discernement », tant pour l’environnement que pour notre autonomie et notre résilience individuelles et collectives. Une ville favorisant, chaque fois que possible, la simplicité, la sobriété et le renforcement du pouvoir d’agir de ses habitantes et habitants, plutôt que la dépendance croissante aux outils technologiques, aux systèmes techniques et productifs dans lesquels ils s’inscrivent, aux chaînes d’approvisionnement complexes et mondiales sur lesquelles ils s‘appuient.
Parce que la low-tech et l’économie sociale et solidaire (ESS) ont beaucoup en commun, tant dans les valeurs qu’elles portent et les finalités qu’elles poursuivent que dans les solutions qu’elles proposent, la présente étude interroge la façon dont l’ESS peut, avec l’ensemble des autres actrices et acteurs de proximité (dont les collectivités territoriales), favoriser l’émergence d’un tel territoire. Les nombreuses et diverses initiatives rencontrées dans le cadre de cette étude - sur l’habitat, la mobilité ainsi que la consommation et la production responsables - montrent que l’ESS contribue déjà à poser les bases d’une transition radicale (c’est-à-dire s’attaquant à la racine des problèmes) et nécessaire. Sur la base de ce constat, l’étude propose plusieurs pistes pour accélérer et changer d’échelle.
L’objectif n’est pas de faire de la ville low-tech un énième concept voué à servir d’accroche aux stratégies de marketing territorial. Il s’agit plutôt de proposer une boussole pour repenser de façon cohérente et systémique la place de la technologie dans les territoires urbains, en proposant un récit et des nouveaux modes d’actions concrets, résolument tournés vers un futur des villes et agglomérations à la fois plus durable et plus désirable.