Hommage à Claude Alphandéry par Hugues Sibille, Président du Labo de l'ESS
Obsèques de Claude Alphandéry, Cimetière du Montparnasse, le 3 avril 2024
Très cher Claude, mon ami,
Ta famille, tes amis, nous tous qui t’aimons si fort avions fini par te croire immortel. Ton incroyable force de vie empêche de penser que cette journée de partage avec toi puisse être la dernière. Après chaque alerte de santé ces dernières années, tu réapparaissais l’esprit clair, toujours jeune, plus résistant que jamais. Et tu lançais de nouveaux projets, convoquais des petits déjeuners quai Voltaire pour travailler à la métamorphose du monde.
On te vit émerger en pleine nuit de l’incendie de ton appartement, puis célébrer magnifiquement tes 100 ans, lancer les nouveaux clubs de France Active et le 25 janvier dernier tu étais, à 101 ans, à l’Assemblée du Labo, parlant debout, droit, vif, inspirant. Oui tu nous semblais immortel !
Cette incroyable résilience te venait d’une forme de foi, non pas religieuse car tu étais agnostique, mais « d’une foi du goût des autres ». Tu aimais les hommes et les femmes tels qu’ils sont. Et les aimant, tu voulais ardemment leur construire un monde meilleur. Tu t’es inquiété pour l’humanité jusqu’à ta dernière heure, croyant encore et toujours à un « prodige de résistance » face aux catastrophes annoncées. C’étaient tes ultimes mots à l’hôpital. Tu me disais te reprocher de n’avoir pas assez fait et voulais encore et encore nous convaincre d’agir et de ne jamais baisser les bras.
Depuis la guerre, ton envie d’être pleinement dans le monde, t’irriguait année après année d’une force de renaissance : tu n’auras jamais cessé de renaitre au monde.
Cher Claude, après cet art pour Vivre et résister, titre de ton merveilleux Livre qui nous inspire tant, je t’ai vu Mourir en résistant. Tu t’es préparé au grand passage, tu es parti la tête haute, jusqu’au bout tu n’as rien lâché. Merci pour cette ultime leçon de courage et d’immense dignité face à la mort, ami si cher à mon cœur.
Tu as vécu plusieurs vies, tu fus lieutenant-colonel de la résistance, énarque, communiste, banquier, président du conseil de l’insertion, fondateur de France Active, créateur du Labo de l’ESS, et bien d’autres choses encore en soutien d’innombrables projets. De toutes ces vies nous reparlerons.
La résistance de 1940 à 1944 fut pour toujours ton école de l’engagement. Je t’imagine dans les maquis de la Drôme, arborant une gabardine sur laquelle étaient cousus tes galons de lieutenant-colonel des FFI. Tu n’avais pas 20 ans. Je te devine la nuit avec tes hommes face à de terribles camions allemands blindés ; je te suis dans le Palais des Papes avec les comités de libération de la Zone Sud ; je t’admire lorsque le chef de la France Libre te remet la légion d’honneur.
Ces dernières années, tu puisais, dans l’expérience du Conseil National de la Résistance, du programme des Jours Heureux, une inspiration de ce qui devrait être fait aujourd’hui.
Lorsque je venais te voir à l’hôpital, tu tenais ma main dans la tienne, nous nous regardions au fonds des yeux pleins d’amitié et je te disais : Claude, ma main serre la tienne, mais imagine derrière elle des centaines d’autres qui font une chaîne vers toi.
Je le redis ici : les mains qui te disent adieu dans ce cimetière sont celles de femmes et d’hommes qu’à travers tes engagements, tu as inspirés, soutenus, accompagnés. Je les connais. Ce n’est pas une armée des ombres mais une armée de vivants qui croient qu’un autre monde est possible pour « buen vivir », pour vivre bien.
Au cours de tes innombrables engagements, tu as donné sans compter à tous et à chacun ton goût de la lutte, ton envie d’entreprendre, ton esprit de résistance et cette maxime si forte de Churchill de penser et d’agir comme si l’on ne pouvait pas échouer.
Aux générations montantes, de poursuivre de nouveaux engagements, inspirés par ton exemple, dans un monde en grands dangers d’où peuvent surgir ces monstres que tu redoutais.
Mon cher Claude, notre peine est immense et nos cœurs sont en miettes. Mais tu nous laisses l’espérance la plus robuste, celle des heures sombres, qui implique d’aller puiser dans la profondeur des réserves de courage. Souvent tu as raconté à quel point l’année 1942 avait été noire, et pourtant vous n’aviez rien lâché.
Le chant des partisans nous habite donc en ce jour de deuil :
« Ici chacun sait ce qu’il veut, ce qu’il fait, quand il passe,
Ami si tu tombes, un ami sort de l’ombre à ta place. »
Claude Alphandéry,
nous témoignons aujourd’hui que ta leçon de vie et de résistance nous inspirera demain,
que nous repartirons dans le combat pacifique de défense du vivant, comme tu le fis chaque fois qu’un camarade tombait.
Merci Claude, pour ta légèreté d’être et ton rire,
Merci pour ton art bienveillant des choses de la Cité qu’on appelle du beau nom de politique,
merci pour ta liberté de pensée,
merci pour ton amour infini de la vie
merci pour cette amitié unique et si forte que tu m’as donnée sans compter.
Du fonds de mon cœur endolori, je t’embrasse, nous t’embrassons.
Hugues Sibille
Président du Labo de l'ESS
Crédit photo à la une : Marie-Pierre Hermann