Hugues Sibille
Et maintenant ?
Les résultats électoraux sont connus. Du moins les chiffres. Comment ils sont entendus et compris est une autre affaire. Un message à peu près lisible, dans le clair-obscur actuel, est celui-ci : un nombre croissant de personnes (10 millions, c’est énorme !), vivant à l’écart de la mondialisation et des grandes métropoles, a d’abord exprimé son ras le bol de conditions de vie difficiles et du pouvoir d’achat en baisse, d’une absence complète de reconnaissance par le centre et ses élites depuis des années - crainte du déclassement social - et son rejet du système établi. Mais le peuple français, au pied du mur, s’est ensuite mobilisé pour dire qu’il ne voulait pas, à ce stade, d’une aventure gouvernementale fondée sur la peur de l’autre, le recul démocratique et la mise en cause de la devise républicaine « Liberté, Égalité, Fraternité ». Le Front Républicain, avec un taux de participation en forte hausse, a tenu bon, mieux que ne le prévoyaient sondeurs et politiques.
Au-delà de la victoire de ce front républicain, la clarification parlementaire attendue n’a pas eu lieu pour le moment. Le court comme le moyen terme politique restent à ce jour fort incertains. Les risques et inquiétudes demeurent donc. A commencer par le risque majeur que la victoire du populisme ne soit que différée. La France, observée de l’étranger d’un œil inquiet et incrédule à l’heure des Jeux de Paris, retient son souffle.
La prudence et la modestie s’imposent donc en formulant quelques observations impressionnistes sur ce que nous avons à faire en ce début juillet 2024.
La société civile est apparue souvent plus mûre, plus responsable, plus proche des réalités de terrain que ne l’est la classe politique. Elle devrait donc, après avoir contribué fortement à écarter le risque Rassemblement National, jouer un rôle important pour pacifier et transformer la société française. La société civile, active dans le front républicain, ne devrait pas « rentrer à la maison » après les élections, en position attentiste ! L’ESS étant au cœur de cette société civile organisée, le job de l’ESS est donc de se faire entendre de manière croissante comme force de propositions nationales à partir d’une expertise forgée au plus près des territoires et des populations. En ce sens l’ESS devra être plus politique, sans être politicienne. C’est d’ailleurs ce qui a été dit lors du congrès d’ESS France. Le Labo de l’ESS, à travers son axe de travail « régénérer la vie démocratique », contribuera à son niveau à la délibération et à la co-construction des politiques publiques. Il contribuera en tant que think tank aux réflexions, alliances et actions de la société civile organisée.
La partition du pays entre, d’un côté ses centres urbains où se concentrent la matière grise et le pouvoir d’achat, et de l’autre côté les périphéries (rurales et villes moyennes) a explosé dans la carte des résultats électoraux. Situation connue et pourtant choc puissant que cette carte électorale ! Corriger cette situation prendra des années. Nous ne résoudrons pas cette partition du pays sans en prendre d’abord profondément conscience, ce que nous avons en partie refusé de faire jusqu’ici. Ne rangeons donc pas rapidement cette carte gênante comme nous l’avons trop fait ! L’ESS devrait prendre toute sa part dans cet immense travail culturel, économique, aménageur… pour sortir de cette France électorale coupée en deux. À notre niveau et par exemple, le Labo de l’ESS, appuiera les démarches visant à mieux connaitre et comprendre ce qui était écrit dans les cahiers de doléances, intégrera dans l’ensemble de ses travaux la problématique du déclassement social et de l’accès aux services publics, poussera les feux de ses travaux sur l’éducation populaire comme mode de compréhension et de débat d’une société qui va trop vite et de manière trop individualiste.
La démocratie représentative est en crise avec des partis politiques exsangues : le vivre ensemble recule, et la culture de la délibération et du compromis, historiquement faible en France depuis la Vème République, fait défaut dans la situation politique nouvelle. Ces savoir-être et ces savoir-faire, l’ESS les possède souvent, actrice qu’elle est d’une « économie de la réconciliation ». Nous avons donc une responsabilité particulière pour pacifier cette société, en réduire les inégalités, en favoriser les dynamiques de coopération et de compromis, développer l’apprentissage de l’écoute, du respect de l’autre, du dialogue. Pour que ceci ne reste pas des vœux pieux, un gentil discours de « diseux », la contribution de l’ESS à la devise de la république devra passer par des engagements concrets, des méthodes, des prises de risque, des financements. L’alliance entre l’ESS et les collectivités territoriales, l’expertise des modes de coopération resteront la boussole du Labo de l’ESS.
La société française avance par à-coups. Puisse le choc actuel faire avancer les solutions dont nous sommes porteurs depuis longtemps, souvent sans être entendus. Il nous faut maintenant parler plus fort !
Hugues Sibille
Président du Labo de l’ESS