Hugues Sibille
Et la culture, bordel !
Le Labo ouvre (enfin !) un chantier "Culture et ESS" : une Economie sociale sans rivage pour une culture sans rivage. Nos motivations sont fortes. Et d’abord celle qu’exprime un sourire grinçant de Francis Blanche : "je suis un non violent, quand j’entends parler de revolver, je sors ma culture !".
À la montée des extrêmes, aux risques de radicalisation, répondons par la culture qui invite à la compréhension de l’autre, à une rencontre tolérante avec d’autres imaginaires. Il faut absolument lire ou relire préventivement le Monde d’hier de Stefan Zweig pour comprendre comment l’Europe a culturellement sombré avant le nazisme. Les extrémistes et talibans s’en prennent depuis toujours à la culture qui asseoie la liberté. L’ESS, elle, repose fondamentalement sur une liberté de penser, d’entrer et de sortir.
Ce dont nous manquons le plus aujourd’hui ce n’est ni de technologie ni de produits/marchés mais de sens, de valeurs, d’esprit : donc de culture. Si les Présidentielles sont peu l’occasion de mettre la culture au rang des priorités ce n’est pas à cause d’une médiocrité des candidats. La raison en est plus profonde : l’économie et la sécurité envahissant tout, y compris les médias, la culture devient secondaire. Pourquoi en parler ? Changeons cela !
Le Labo de l’ESS est convaincu que la différence majeure entre "économie de marché" et "société de marché" tient au droit à la culture, à une culture qui ne doit pas être considérée comme une marchandise comme une autre, mais comme un Commun.
En ouvrant ce chantier faisons deux constats. Un premier montre qu’ESS et culture pâtissent d’un même symptôme : nos territoires regorgent d’initiatives artistiques et culturelles comme ils regorgent d’innovations sociales mais cela ne remonte pas. Un plafond de verre empêche de s’inspirer de ces initiatives pour construire des politiques "bottom up". Le Labo de l’ESS continuera à attaquer ce plafond de verre, en rapprochant sur les territoires, entrepreneurs culturels et entrepreneurs sociaux, en faisant remonter les attentes et les potentiels de ces communautés de l’émergence.
Un second constat porte sur ce que les modèles économiques, juridiques, organisationnels des activités culturelles sont à la peine. Le modèle parapublic, subventionnel, se fissure. Faut-il pour autant se jeter dans les bras d’un modèle lucratif, inégalitaire, dans lequel seuls les revenus supérieurs ou les héritiers de Bourdieu accéderaient à la culture ? Non. Nombreux sont les acteurs culturels, souvent à forme d’associations 1901, qui cherchent une troisième voie, ni sous le parapluie de l’Etat ni aux grands vents de la concurrence marchande.
Cette troisième voie est celle qu’invente depuis longtemps l’ESS. Rapprochons-nous. De nombreuses expériences de ce rapprochement existent déjà : les coopératives d’activité et d’emploi spécialisées sur la culture (CAE Clara), les PTCE à dominante culturelle (Coursive Boutaric), les Fondations mécènes culturels (Fondation Crédit Cooperatif), les Coopératives d’intérêt collectif (Scic Maison de la danse) ou les Scop (Theatre du Soleil) dans le champ du spectacle vivant ou du Livre (Librairie des Volcans)... Tirons enseignement de tout cela et faisons le changer d’échelle par des écosystèmes d’accompagnement, de financement, de fiscalité appropriés.
Ce dont il s’agit in fine est d’inventer sur les territoires des modèles de développement qui n’opposent pas mais concilient économie, culture solidarité, environnement. Certains Festivals en témoignent qui apportent localement recettes et emplois, mais plus encore identité, reconnaissance, estime de soi.
Nous invitons donc acteurs de l’ESS et acteurs du monde culturel à la rencontre, au dialogue fructeux et aux projets communs.