Coopérative la Main : conjuguer ESS et culture par le foncier
Acquérir 100 lieux culturels en 10 ans, c‘est possible ? C’est en tout cas l’objectif que s’est fixé la foncière culturelle La Main, foncièrement culturelle (anciennement La Main 9.3-0). Cette coopérative réinterroge les modèles économiques des lieux culturels et se définit comme un outil foncier dédié au secteur culturel et artistique. Le Labo de l’ESS est parti à la rencontre de celles et ceux qui la font vivre !
La SCIC : une solution innovante et solidaire pour réinventer de nouveaux modèles
Juliette Bompoint, alors directrice de Main d’œuvre à Saint-Ouen, sent que les questions foncières immobilières dans la région deviennent préoccupantes et que les lieux culturels semblent avoir de moins en moins leur place dans les aménagements de territoire.
Dans le même temps, une étude est menée par Opale sur l’impact du secteur culturel et artistique sur le secteur de Plaine Commune, au nord de Paris. On y analyse 4 structures : Le 6b à Saint-Denis, Les Poussières et la Villa Mais D’ici à Aubervilliers, et Main d’œuvre à Saint-Ouen. En observant ces lieux, un point commun majeur se dégage : ils sont tous organisés comme des espaces de coopération avec une gouvernance collective et un modèle horizontal. L’idée de créer une société coopérative d'intérêt collectif (SCIC) murît, avec l’objectif de construire un modèle encore plus coopératif. La coopérative permet d’incarner la diversité des acteur·ice·s et usagers, dont les collectivités, les habitant·e·s ou encore les entreprises, qui peuvent être parties prenantes de ces espaces. Tous les sociétaires peuvent prendre part aux décisions de la coopérative (1 personne = 1 voix) et participer aux différents temps de réflexion et groupes de travail.
La création de la SCIC coïncide avec le lancement d’un chantier « Culture et ESS » mené par le Labo de l’ESS. Bernard Latarjet, administrateur de la Main et aussi référent thématique de l’étude du Labo « Voies d’action pour développer l’économie culturelle sociale et solidaire », nous explique : « Les deux projets ont cheminé de concert et se sont nourris mutuellement. Juliette Bompoint a été l’une des chevilles ouvrières du « collège ESS et culture » que le Labo de l’ESS a animé tout au long de l’année 2019. Celui-ci a plaidé auprès du ministère de la Culture la nécessité d’une aide nouvelle au démarrage des foncières culturelles. Elle figurait parmi les recommandations issues de ses travaux. »
Un outil foncier culturel pour les lieux du futur
Lors des débuts de la Main, Juliette rencontre Vincent Jeannot, l’un des co-fondateurs d'une initiative sous forme de foncière désormais bien connue : Terre de Liens. Il s’agit d’une entreprise d’investissement solidaire ouverte aux citoyen·ne·s grâce à laquelle des fermes sont achetées pour y implanter des activités agri-rurales diversifiées. Ces lieux, ensuite proposés à la location à des agriculteur·ice·s, deviendront des centres de production favorisant la biodiversité et le respect des sols.
Pour Juliette, c’est la solution ! Il faut racheter les bâtiments occupés par les structures culturelles pour pérenniser les lieux. En effet, les modèles du milieu culturel restent fragiles et de nombreux lieux sont menacés par une occupation précaire d’espaces, qui plus est dans un contexte d’accélération et de concentration de la pression foncière. Mayeul Beaudet, le coordinateur de La Main, nous explique : « La propriété peut être une possibilité de pérenniser nos lieux et sortir de cette précarité ». L’outil foncier proposé par la coopérative donne ainsi un moyen aux acteurs et actrices de la culture d’accéder à une propriété partagée en devenant tous co-propriétaires (usagers, habitants, collectivités). Pour Mayeul, « la foncière est une gestion collective : c’est elle qui assure le commun, une destination culturelle et artistique d’un lieu, et elle ne la remettra pas en cause ».
Expérimenter pour mieux accompagner
Le projet de la Main est le fruit de nombreux échanges, de rencontres et d’expérimentations. Depuis la création de la SCIC, un véritable travail de sensibilisation sur le foncier culturel est réalisé auprès des réseaux et acteurs de la culture et des tiers-lieux. Forte de son suivi de nombreux cas pratiques et son accompagnement de porteurs et porteuses de projet, la coopérative est labellisée Fabrique de Territoire depuis 2020. Au-delà de la dimension immobilière, le projet vise à mettre à disposition des ressources communes et un véritable réseau de compétences : formations via le dispositif « L’école libérée des lieux communs artistiques et culturels », visites apprenantes, partage de savoir et savoir-faire entre pairs, évaluation d’impact...
L’équipe interroge également les lois, les politiques publiques et mène des actions de plaidoyer en affirmant que la solution à la précarité des lieux culturels et artistiques résiderait en partie dans la réappropriation citoyenne des lieux et des moyens de création et de production.
Désormais soutenue par le ministère de la Culture, étape cruciale dans son développement, la Main a encore de nombreux projets ! Accompagnement et formation devraient s’étoffer ! À suivre…
À lire :
- La Main, Foncièrement culturelle
- La synthèse d’Opale, « Regards croisés sur quatre lieux de coopération artistique et culturelle de la communauté d’agglomération de Plaine Commune (93) »
- Le rapport de France Tiers-Lieux, “Nos territoires en action : dans les Tiers-Lieux se fabriquent notre avenir !” (2021)
- L’étude du Labo de l’ESS « Voies d’action pour développer l’économie culturelle sociale et solidaire »