Tribune
Publié le 10 juillet 2023
Hugues Sibille

Hugues Sibille

Président du Labo de l'ESS

Face à une société sous tension, l'ESS attitude

Notre société est sous tension. La tendance s’aggrave. Il y a eu les gilets jaunes dont les feux mal éteints couvent sous la cendre ; de nouvelles conflictualités sont apparues lors du Covid ; une montée inacceptable des violences contre les élus s’installe ; des lutes naissent entre groupes pour le partage de ressources comme l’eau, et voilà que la mort injuste du jeune Nahel (re)met le feu aux quartiers. Ces émeutes, sans revendication claire, brûlant des équipements publics, disent l’embrasement d’une violence brute. La défiance qui engendre la défiance progresse, avant que la haine attisée n’engendre la haine.


Les dérèglements, sociaux, climatiques, plus récemment démocratiques se mêlent peu à peu en un dérèglement systémique du vivre ensemble. 83% des Français pensent que la crise démocratique empêche l’adoption de grandes réformes en faveur de la transition écologique et de la justice sociale. (sondage Ipsos/PPV avril 2023). Lire le journal, écouter la radio, deviennent des épreuves angoissantes, génératrices d’impuissance et de défaitisme. Que penser, comment résister, que faire face aux tensions lorsqu’on se revendique de l’ESS ?
D’abord exprimer une « ESS attitude » porteuse d’apaisement et de réconciliation. De quoi s’agit-il ? Par exemple porter attention au vocabulaire, notamment sur les réseaux sociaux, en évitant les généralisations abusives, du type « les jeunes des banlieues ». Dans les banlieues coexistent des jeunes inséré.e.s et des professionnel.le.s de la délinquance. De même, refuser l’usage de mots clivants, facteurs de stigmatisations, comme « écoterrorisme ». L’ESS peut défendre un art de la nuance dans le débat, refuser les postures, faire du respect des opinions une force permetant la controverse, comme l’a magnifiquement réussi la Convention citoyenne pour la fin de vie. En un sens, l’ESS peut être école de consensus, fabrique du nous, atelier d’espérance dont la société a cruellement besoin. Face au pessimisme ambiant le récit de l’ESS est un récit positif, montrant que des solutions existent et sont à l’oeuvre sur le terrain.

Autre exemple « d’ESS attitude », mettre les personnes désinsérées, précaires, « invisibles », en situation d’actrices et non de « victimes » ou de « bénéficiaires ». Territoires Zéro Chômeur de Longue Durée en est une belle expérimentation. Inspirons-nous-en ! Pour tendre vers une société apaisée, défendons inlassablement des pratiques de partage : des richesses évidemment (notre ADN), mais aussi partage équitable des ressources (l’eau, l’air, la terre, les savoirs…) et des responsabilités. La mise à l’écart, la non-reconnaissance d’individus, de groupes ou de territoires sont générateurs de violences. Une certaine éthique de responsabilité conduit en outre à réfuter la défausses des problèmes sur des boucs émissaires (fut-ce l’État !).

Ensuite l’ESS peut contribuer au diagnostic sur les causes du mal. De ce point de vue, elle a légitimité à revendiquer une certaine radicalité du diagnostic. Comme le cholestérol, il y a de la bonne et de la mauvaise radicalité. La bonne consiste à aller à la racine des problèmes pour les traiter. Or la racine malade est largement celle d’une économie de l’hubris, privilégiant les résultats de court terme et la marchandisation de tout, épuisant les ressources, accroissant les inégalités, générant des frustrations. Les pillages récents et inacceptables de magasins constituent aussi des actes symboliques de refus de ces inégalités et frustrations. C’est une erreur de croire que les défis sociaux ou environnementaux actuels seront relevés seulement par des actes de pure autorité. Si nous voulons promouvoir une économie de la réconciliation, selon la belle expression de Jérôme Saddier, compatible avec un ordre républicain juste, nous avons des devoirs nouveaux tels que : faire converger le récit de l’ESS et celui des Communs, constituer des alliances de transition avec les collectivités locales, faire converger l’ESS avec les réseaux partageant une vision et des expériences, comme le Pacte du Pouvoir de vivre, le Pacte civique ou la Fabrique des transitions.

Pour ce qui nous concerne, Labo de l’ESS, face à cette société de tension, nous nous fixons trois objectifs : 

  • D’abord promouvoir inlassablement la coopération territoriale. Il s’agit d’une vraie révolution culturelle pour sortir de l’actuelle mise en concurrence généralisée des individus et des groupes. La coopération territoriale ne se décrète pas, elle s’apprend, elle se construit, elle se constate. Raison pour laquelle nous travaillons collectivement et avec conviction sur l’ingénierie, l’accompagnement, le financement de cette coopération territoriale. Elle devrait à l’avenir inclure une plus forte préoccupation de la jeunesse et des quartiers.
  • Ensuite participer d’une nouvelle et grande ambition d’éducation populaire à la transition. L’investissement dans l’éducation ouvre davantage les portes de l’avenir que la seule répression court-termiste. Dans une société individualiste, les engagements se construisent souvent davantage en opposition qu’en adhésion. Un rapprochement entre ESS et éducation populaire permet de combiner des projets d’utilité sociale et écologique avec l’acquisition de savoirs-être apaisés. De nouvelles pratiques émancipent de la fatalité du « ça me dépasse » ou « c’est comme ça » ou « je n’ai pas de place ». Défendre les associations de proximité, favoriser l’engagement dès l’école (rapport HCVA 2017) introduit du pouvoir d’agir, fait reculer les tensions, en particulier dans la jeunesse, gagner en responsabilité collecrive. Le beau mot d’émanciparion doit (ré)intégrer notre vocabulaire et nos prariques d’ESS et polliniser l’ensemble de la société.
  • Enfin, dans le prolongement de l’évaluation de la loi de 2014, nous défendrons une Loi de programmation de l’ESS, constituant un investissement massif dans une économie de réconciliation, dotée de moyens budgétaires et prenant mieux en compte l’ESS dans les politiques publiques contractuelles, les grands programmes (Planification écologique, France 2030…) et renouvelant une dynamique d’engagements réciproques (voir la charte de 2001) entre l’État, les collectivités locales et l’ESS.

Dans ces heures sombres, refusons la désespérance et le renoncement et contribuons là où nous le pouvons, modestement mais résolument, à rendre le monde ou nous vivons plus juste, sobre et bienveillant… grâce à notre ESS attitude.

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