Ce fort et nouvel intérêt s’explique par une recherche de sortie de crise, pour certains ou un désir de transition socio-économique vers un nouveau modèle, pour d’autres. Trois raisons majeures à cela.
Premièrement, dans les sociétés développées, de nombreux besoins sociaux de base (se loger, se nourrir, se déplacer, se soigner, ...) restent non satisfaits ou satisfaits dans des conditions ne correspondant pas aux enjeux actuels (bilan énergétique, alimentation saine, ...). Des besoins nouveaux apparaissent, comme accéder à des moyens de communication interactive (téléphone mobile, internet) indispensables à la vie en société. Il y a donc lieu d’innover pour répondre mieux à des besoins insatisfaits.
Deuxièmement, les comportements changent vers plus de participation : les usagers ne veulent pas être de simples consommateurs et les bénéficiaires des assistés. Ils entendent participer, être acteurs, ne pas subir. C’est l’émergence d’une économie collaborative (covoiturage, monnaies alternatives, circuits courts Circuits Courts Définition du concept de circuits courts , habitat participatif, ...) Ceci génère des innovations dans la manière de produire et rendre les services, d’organisation, de distribution, de gouvernance Gouvernance La gouvernance est l’ensemble des règles et méthodes organisant la réflexion, la décision et le contrôle de l’application des décisions au sein d’un corps social. La gouvernance évoque souvent le « bon gouvernement » et donc des pratiques participatives et inclusives. La gouvernance renvoie aux sphères économiques, sociales, politiques, etc. , ... qui font partie de l’innovation sociale et lient innovation sociale et innovation technologique. Le crowdfunding Crowdfunding Littéralement, signifie "Financement par la foule" ; traduit en français par "finance participative". n’est possible que grâce au web.
Troisièmement, les pouvoirs publics n’ont plus les moyens financiers, mais aussi humains et d’organisation de proximité, pour assurer eux-mêmes des politiques sociales comme ce fut le cas pendant le Wellfare state. De nouveaux partenariats émergent entre le public, la société civile et le privé pour traiter de questions "sociales".
Pour ces trois raisons l’innovation sociale devient essentielle et intéresse de nombreux acteurs. L’OCDE la définit comme : "un changement de concept, de procédé, ou de produit, un changement organisationnel ou dans les moyens de financement, qui implique de nouvelles relations avec les parties prenantes et les territoires".
Deux conséquences de ces tendances de fonds sont à souligner : d’abord, l’innovation sociale sera durable car ces trois tendances sont elles-mêmes durables. Ce n’est pas une mode. Ensuite, la diversité des attentes peut faire de l’innovation sociale une auberge espagnole, chacun mettant l’accent sur la tendance qui l’intéresse.
À une extrémité pour certains, elle est une voie de désengagement de l’état et des collectivités, exsangues financièrement. Ils attendent de l’innovation sociale une forme de rationalisation budgétaire permettant de traiter les questions sociales à un coût moins élevé pour la collectivité.
A l’autre extrémité, elle est pour d’autres une voie de transformation sociale vers une société plus équitable, plus durable, une façon de démocratiser l’économie en la rapprochant du citoyen. Une voie intermédiaire, à laquelle je me rattache, considère qu’on peut ET améliorer les finances publiques ET contribuer à la transformation sociale, par l’innovation sociale.
L’innovation sociale est donc et restera, un sujet de débat politique. L’enjeu est d’éviter que ce débat ne soit caricatural ou que l’Innovation sociale ne soit instrumentalisée par tel ou tel courant. Elle n’appartient à personne.
Pour transformer l’essai en cours dans l’espace public, les acteurs de l’ESS ESS Le terme d’Économie sociale et solidaire regroupe un ensemble de structures qui reposent sur des valeurs et des principes communs : utilité sociale, coopération, ancrage local adapté aux nécessités de chaque territoire et de ses habitants. Leurs activités ne visent pas l’enrichissement personnel mais le partage et la solidarité pour une économie respectueuse de l’homme et de son environnement. , peuvent mettre en œuvre trois principes : vigilance, ouverture, performance.
Vigilance : car les coups "partis" ne sont pas "arrivés". La loi ESS n’est ni entièrement stabilisée ni votée. Rappelons que le Conseil d’Etat avait supprimé l’article sur l’innovation sociale. Il faut veiller à ce que l’article 10 ressorte convenablement des débats parlementaires et des discussions entre législatif et exécutif. Pas d’usine à gaz bureaucratique ou de texte inapplicable : il s’agit d’une reconnaissance de principe permettant que l’innovation sociale soit financée au même titre que l’innovation technologique. Vigilance encore pour que la BPI BPI Bpifrance, la Banque publique d’investissement crée effectivement le FNISO dans un délai rapide, en partenariat avec les Régions, et dans une bonne accessibilité pour les innovateurs de l’ESS. Bpifrance n’a pas à ce jour cette culture. Vigilance toujours sur la programmation et la gestion des Fonds Européens pour éviter certaines dérives.
Ouverture : car l’innovation sociale n’est pas l’apanage ou le monopole de l’ESS, même si elle en est clairement le meilleur laboratoire. L’innovation sociale résulte souvent de décloisonnements, de rapprochements, d’alliances. D’où l’enjeu d’ouvrir la fenêtre, de travailler avec d’autres sans renoncer à être soi-même. Les associations doivent apprendre les partenariats de financement, de compétence, de gouvernance, ... avec le privé. Ouverture sur les territoires vers d’autres acteurs, comme le montrent les Pôles Territoriaux de Coopération
Coopération
Acteurs qui ont des intérêts similaires qu’ils planifient ensemble, où ils négocient leurs rôles mutuels et partagent des ressources pour atteindre un objectif commun tout en maintenant leur identité
Economique (PTCE
PTCE
Pôles territoriaux de coopération économique.
), les Coopératives d’intérêt collectif
Intérêt collectif
Littéralement, il s’agit bien de l’ensemble des avantages ou des bénéfices dont peut profiter une collectivité spécifique. Il ne faut donc pas le confondre avec l’intérêt général qui vise le plus grand nombre. Par exemple, dans la dénomination des SCIC, le terme d’intérêt collectif désigne les différents collèges qui composent leur sociétariat et non l’utilité sociale qu’elles se sont donnée.
Source :CNCRESS
(SCIC
SCIC
Société Coopérative d’Intérêt Collectif.
) et peut-être demain les Fondations Territoriales.
Performance : car il faut admettre qu’"investir" dans l’innovation sociale doit générer des résultats pour la collectivité. Ainsi la Région Languedoc-Roussillon qui, avec REALIS a lourdement investi en faveur de l’IS, se préoccupe du retour, social mais aussi économique, sur investissement. Il reste à faire beaucoup sur ce plan de deux façons :
- Ne pas craindre la culture de la performance, une performance adaptée aux finalités, valeurs et projets de l’Ess
- Disposer d’outils de mesure d’impact social Mesure d'impact social Les entrepreneurs sociaux et associations poursuivent une mission sociale. Pour remplir cette mission, ils mettent en place une stratégie et un plan d’action. L’impact social est l’ensemble des changements positifs ou négatifs, attendus ou inattendus, et durables engendrés par les activités mises en place et attribuables à ces activités. Ces impacts peuvent être de nature environnementale, économique ou sociale. commun aux différentes parties prenantes : innovateurs, usagers, financeurs. De ce point de vue il y a urgence à ce que la France occupe le terrain international de la mesure d’impact social qu’elle laisse actuellement aux anglo-saxons.
Hugues Sibille
Vice-Président du Labo de l’ESS
Président d’Avise
Commentaires
1. Innovation sociale, où en sommes-nous ?, 8 avril 2014, 17:37, par Roger Daviau
L’innovation sociale ne consiste pas expressément à tenter d’inventer des modèles. Il suffit souvent de remettre à jour, ou de faire redécouvrir des formules qui ont satisfait aux aspirations de justice sociale et d’émancipation des travailleurs à diverses époques.
Plusieurs expériences ont déjà démontré leur intérêt social et économique dès la fin du XIXe siècle, il suffit peut être seulement de les redécouvrir.
H De Saint-Simon disait : " Nos successeurs penseront avoir de l’imagination, ils n’auront que des réminiscences".
Comme l’imagination est fille de la mémoire, il faut reprendre les acquis et les réutiliser.
Au nombre desquels, il existe la SAPO - Sté Anonyme à Participation Ouvrière - seule forme qui valorise les compétences et le savoir-faire collectif de l’effectif en termes d’actions de capital au Passif du Bilan.
C’est également apparemment la première fois qu’une loi (en 1917) définissait un patrimoine collectif en France : les "Actions de Travail" sont la propriété collective de l’effectif salarié regroupé au sein d’une Sté Coopérative Coopérative Une coopérative est un groupement d’individus (commerçants, consommateurs, producteurs…) choisissant de mettre leurs moyens en commun afin de satisfaire leurs besoins. de Main d’Oeuvre -SCMO- interne à la SAPO. Nul besoin aux salariés de constituer des apports financiers pour s’associer : leur travail représente leur apport à la société (cf apport en industrie)
2 innovations importantes dans cette loi, appelée "Loi Briand", élaborée par le Ministre du Travail Henry Chéron en 1913 sur les travaux du sociologue Etienne Antonnelli en 1912.
Restée lettre morte car contrecarrant les positions idéologiques et d’appropriation économique des tenants du patrimoine financier, largement majoritaires en fin de 1ère guerre et qui ont continué de tout envahir depuis, des écoles aux médias.